Cela faisait déjà une paye que j'avais dans l'idée de me fendre de quelques lignes sur Alex Chilton, d'évoquer en ces lieux le morceau « Bangkok », surtout. Car si je ne pouvais que me réjouir du regain d'intérêt suscité par
Big Star depuis la sortie du coffret
Keep an Eye on the Sky l'an dernier, l'impasse faite sur le reste de sa carrière me chagrinait un peu. Le vaste monde des amateurs de rock à la petite semaine, les dilettantes de la chose, les passionnés à-demi se pâmaient soudainement, redécouvraient Big Star comme on réinvente la Guinness tiède. Et ce fut parti pour une réévaluation historique aux allures de canonisation : on n'en finissait plus de s'extasier sur ce « trésor caché » qui ne l'a jamais été, finalement, que pour ceux qui n'avait pas pris la peine d'y regarder ou plutôt d'y entendre – probablement trop occupés à bavasser sur la
next big thing du moment et autres soufflés montés à la levure de buzz . Big Star, comme tous les groupes copieusement ignorés de leur vivant, avait déjà été plus d'une fois l'objet de ce genre d'exhumation médiatique : à la fin des 70's avec l'émergence de ce qu'on appela
power-pop (mot-valise bien commode désignant, précisément, tout groupe influencé de près ou de loin par la Grosse Etoile), puis dans les années 80, sous l'impulsion des Replacements et de R.E.M, et enfin dans les 90's avec des formations comme les Posies et Teenage Fanclub qu'on peut considérer, malgré toute la tendresse qu'on peut leur porter, comme des notes en bas de pages du Grand Livre tripartite (
#1,
Radio City,
Third/Sister Lovers) rédigé par Chilton et ses apôtres.
Mais foin de considérations historiques ou de règlements de comptes d'alcôves : Alex Chilton est mort à 59 ans, mercredi 17 mars, d'un arrêt cardiaque. « Foudroyé en pleine gloire », serait-on tenté d'ironiser... Lui l'éternel poissard, archétype du beautiful loser, divinité tutélaire de la petite corporation des rocks-critics qui exige d'avoir son quota de martyrs, ses pouilleux stipendiés, ses maudits officiels pour justifier sa minuscule existence. Je laisse à d'autres l'évocation des heures ô combien glorieuses des
Box Tops, avec lesquels Chilton a connu la gloire à 16 ans, de la vallée de larmes qu'est
Third/ Sister Lovers, à faire passer le
Berlin de Lou Reed pour une opérette d'Offenbach.
Bangkok, donc, single sorti en 1978. Chilton, tellement
sous influence qu'il n'est plus que le spectre de l'ectoplasme de son fantôme, peine à se remettre de l'échec prévisible de
Third/Sister Lovers fraîchement sorti après une paire d'années à prendre la poussière sur une étagère. En face B, une reprise du classique des Seeds,
Can't Seem To Make You Mine. Un an plus tard, il produira
Human Fly,
The Way I Walk,
Domino, puis le
Songs The Lord Taught Us des Cramps. Mais en 1978, c'est « Bangkok » et tout ce qu'on nommera plus tard de l'affreux mot de psychobilly est déjà là. Cette façon de tordre le rockab' pour en réanimer le cadavre. Ce son ramassé, cette morgue, ces hoquetements-halètements, le tranchant des guitares couplé à la réverb' tous azimuts. Tout ce qui fait le rockab', mais passé au tamis punk, mis cul par-dessus tête et dézingué de l'intérieur, en 2 minutes et 2 secondes.
Alex Chilton - Bangkok