mercredi 23 août 2017

Achats Récents #15 soul music

Troisième épisode de ma session catalane d'achats de disques vinyles... Cette fois-ci nous allons nous concentrer sur la Soul Music, au sens plutôt large comme vous allez le voir ! Ces disques ont été publiés entre 1966 et 1969, ils constituent en quelques sortes des témoignages de différentes orientations du genre à l'époque, quoi que le tableau est loin d'être complet bien sûr !

Est-ce utile de présenter Wilson Pickett, monument de la Soul Music ? Après avoir signé avec Atlantic en 1963, il chante l'un des plus grands succès de sa carrière en 1965 avec In the Midnight Hour qu'il co-écrit. Enregistrée dans les studios de Stax à Memphis (le label était en contrat avec Atlantic), on y retrouve le son unique du label américain: un son poisseux, authentique et dansant. Il enregistre plusieurs 45 tours là bas (par l'entremise de Jerry Wexler) mais Stax change de politique quant aux enregistrements d'artistes extérieurs à la maison. Par conséquent Land of Thousand Dances est enregistré aux studios FAME de Muscle Shoals, l'autre épicentre de la Southern Soul. Parmi les musiciens de la session on retrouve par exemple Spooner Oldham le partenaire d'écriture de Dan Penn (ils écrivent notamment ensembles Cry Like A Baby pour les Box Tops d'Alex Chilton). Land of Thousand Dances est une reprise. Écrite par Chris Kenner, qui en est aussi le premier interprète en 1962, la chanson n'acquiert son potentiel qu'entre les mains du groupe de Los Angeles Cannibal and the Headhunters en 1965. Ces derniers improvisent en effet un nouveau chorus de voix (la lalala etc.) car ils oublient les paroles. Sur le plan de l'écriture, l'ajout transforme l'honnête titre R&B en une bombe prête à se frotter aux charts pop. Certains y parviennent presque (les Thee Midniters notamment, un autre groupe de chicanos de LA). Wilson ne s'y trompe pas un an plus tard et enregistre ce qui est la version la plus aboutie et éclatante de la chanson. De Kenner il conserve l'énergie du R&B, de Cannibal and the Headhunters il tire le hook mémorable. La combinaison heureuse des deux fait de Land of Thousand Dances de Wilson Pickett un énorme tube et un classique instantanée de la soul, la chanson pulse à deux cents à l'heure, le chanteur est survolté, autant dire que même cinquante après sa sortie, l'enregistrement conserve toute sa verve et sa gloire! À noter que la face B de ce pressage (Mustang Sally) est aussi un grand classique du chanteur.


En terme de street cred les 5th Dimension ont certainement pas mal de handicaps. Trop groovy pour les amateurs de Sunshine Pop, trop poli pour les amateurs de soul. Je trouve que cela fait tout leur charme, une musique pop aux arrangements sophistiqués, des entrelacs de voix soignés, le tout avec un coté lounge mais gai, enjoué et rythmé... Sur un plan plus snob on ajoutera que le groupe a fortement influencé l'un des plus fantastiques producteurs de soul psychédélique de tous les temps: Norman Whitfield. En effet, son groupe, Undisputed Truth, prit les 5D en modèle. Je ne sais pas si ce fut aussi le cas de Rotary Connection mais cela ne serait pas impossible tant les projets fonctionnent au fond dans un registre proche... Ce single est une bonne pioche en tout cas. La face A, empruntée à Laura Nyro, Stoned Soul Picnic est excellente. La face B propose une amusante et réussie reprise de Ticket To Ride un registre où les 5th Dimension ont par exemple proposé une superbe version du classique de Cream Sunshine of Your Love . Bref un excellent simple ! 


En compulsant les archives de ce site, opération moins compliquée qu'il n'y paraît (merci les moteurs de recherche), je me suis rendu compte qu'il était finalement très peu mention des fantastiques Booker T and The MGs... Il était question quelques lignes plus haut de Stax. Ce groupe instrumental en fut un des piliers jouant sur de nombreuses productions de Sam & Dave, Otis Redding etc. sans oublier leur propre carrière démarrée en fanfare avec le génial classique mod Green Onions. De fait le son Stax/Memphis est largement lié à l'aventure Booker T and the MGs bien qu'il ne faille pas négliger l'apport des Mar-Keys et des Bar-Kays. Time Is Tight de 1967 est enregistré par le line up classique du groupe: Booker T Jones à l'orgue, Steve Cropper à la guitare, Al Jackson Jr à la batterie et Donald Duck Dunn à la basse. On retrouve un certain nombre de ses musiciens dans le film Blues Brothers ! Rendons hommage au jeu de guitare à la Télécaster de Cropper, économique, reconnaissable entre tous, et redoutablement efficace. Un très grand guitariste qui n'est pas toujours reconnu à sa juste valeur ! Bien sûr le reste de l'équipe est au moins aussi bonne et tout ce beau monde joue à merveille sur ce classique. Certes il n'est pas dansant comme Green Onions mais il démontre l'étendu de la palette de la formation.


Nous avions déjà évoqué Jess & James ici même il y a huit ans ! Pour les absents, réaffirmons à quel point ce groupe est européen dans son essence. Les frères Lameirinhas (Wando et Toni) naissent au Portugal. Jeunes ils fuient la dictature, d'abord en Angleterre, puis en Belgique. Là, ils montent l'une des plus belles formations de soul du continent: Jess & James. Le groupe est un melting pot de nationalités... Populaires en Belgique, ils le sont aussi en Espagne (où le groupe enregistre des versions spécifiques de certains morceaux comme move ou something for nothing). Après la séparation avec le JJ Band, Jess & James s'installent aux Pays Bas. Change est un de leurs classiques: nerveux, dansant, super accrocheur ! Un excellent morceau qui prouve que l'Europe continentale savait se défendre en matière de soul music !  La face B Julie's Doll est dans un registre plus psychédélique, elle est également très intéressante.
  

lundi 21 août 2017

Achats Récents #14 Bubblegum !

Second épisode des achats barcelonais avec une spéciale Bubblegum. Le genre musical était destiné aux adolescents (et pré-ados) de la fin des années soixante. Il connaît son heure de gloire entre 1968 et 1970 mais inspira de nombreux autres producteurs par la suite. Style souvent snobé, il mérite pourtant d'y consacrer un peu de temps ne serait-ce que pour les passerelles avec d'autres courants que nous apprécions particulièrement comme le psychédélisme ou le garage-rock. Avantage: les disques sont rarement chers ou recherchés (sauf quelques références très précises comme Captain Groovy & His Bubblegum Army) comme en témoigne les 9€ dépensés pour ces 4 simples.

Si, au sens stricte, la bubblegum pop fait référence à une période très précise, la musique préfabriquée à destination des adolescents est une constante depuis les années cinquante. Aux idoles un peu trop crues et sauvages que furent Elvis, Chuck Berry ou Eddie Cochran, les maisons de disques préférèrent bien vite développer leurs propres champions et inondèrent le marché de Frankie Avalon ou de Fabian, plus acceptables pour les parents et contrôlables par les maisons de disques. Au début des années soixante, les songwritters du Brill Building comme Gerry Goffin et Carole King ou Ellie Greenwich et Jeff Barry imposèrent leur style sur la pop signant une quantité incalculables de classiques. Il en fut de même pour Phil Spector (Shangri-Las, Ronettes) et bien sûr la Motown (Four Tops, Supremes). Jusqu'ici il était surtout question de division du travail entre compositeurs, arrangeurs, producteurs et interprètes... The Monkees, un groupe monté sur casting pour une série télévisée inspirée d' A Hard Day's Night des Beatles, poussèrent la logique encore plus loin, aux portes de la pop bubblegum. Don Kirshner, éditeur émérite, fut en effet chargé par la production de fournir des hits aux groupes, il fit alors appel aux équipes de Brill Building parmi les plus célèbres comme Boyce & Hart (last train to Clarksville ou I'm not your steppin' Stone). Le groupe fut cependant vexé de ne pas participer à la création artistique et reprit par conséquent le pouvoir... Don Kirshner, amer, eut cependant l'occasion de rebondir et d'aller encore plus loin dans la logique de contrôle en créant un groupe virtuel de toute pièce pour un dessin animé: The Archies. 

La pop bubblegum était née et réglait les problèmes d'égos des musiciens. Elle permettait au label / manager / producteur une main mise totale: image, écriture des chansons (confiées à des professionnels), interprétation par des musiciens de studio etc. On considère généralement Green Tambourine publié en novembre 1967 des Lemon Pipers comme le premier tube bubblegum. Il lança en tout cas une période faste pour le label majeur du genre: Buddah Records. En effet, sous l'égide des producteurs Jerry Kasenetz et Jeffrey Katz (Super K Productions) ainsi que du directeur général Neil Bogart, le label inonda le marché de tubes de groupes factices ou absents lors des enregistrements de leurs simples... Ils s'appelaient, Ohio Express, Archies, 1910 Fruitgum Co. ou encore Crazy Elephant et pendant quelques années ils firent les poches des adolescents qui se jetaient sur leurs nouveaux 45 Tours... Artistiquement la pop bubblegum emprunta au versant léger du psychédélisme comme au garage-rock. The Music Explosion expriment cette parenté: ils sont souvent considérés comme appartenant aux deux. Les chansons étaient souvent simples, répétitives, très accrocheuses, avec des rythmes dansants. Le nom fait référence à la profusion de référence à la nourriture et plus particulièrement au sucre dans les chansons (Sugar Sugar, Yummy Yummy Yummy ou encore Chewy Chewy), l'occasion de double-sens pas si innocents. L'efficacité des faces A rendait l'exercice de la face B plus libre et propice à délires de studio. Ainsi nous retrouvons d'excellentes faces B, parfois très violentes, au dos de tubes consensuels et efficaces. 

Si l'on ne peut les qualifier à 100% de pop bubblegum, l’œuvre de groupes comme The Osmonds, The Cowsills ou Tommy James and the Shondells évoluèrent à très grande proximité... La pop bubblegum fut de courte durée mais démontra la possibilité de créer des projets de studio de toutes pièces et avoir énormément de succès. Elle fut ainsi précurseur du travail de Nicky Chinn et Mike Chapman dans le glam avec The Sweet ou Mud ou encore du groupe Bay City Rollers. D'autres y firent leurs armes comme certains des membres de 10cc qui travaillèrent pour Super K Productions. Enfin elle influença durablement la musique pop, notamment des groupes comme The Rubinoos ou les Paley Brothers.  

Simon Says par 1910 Fruitgum Co. est un des énormes tubes du genre. Je lui préfère la très bonne face B Reflections from the Looking Glass aux effluves psychédéliques. Un excellent travail de studio pas si éloignée que ça du garage ou de la sunshine pop.


Roll It Up face B de Mercy est une des bonnes incursions des Ohio Express dans le garage-rock. Si le morceau n'est pas aussi mythique que Try It (reprise par The Attack), il fait plus que la blague et s'en sort avec les honneurs ! Orgue marqué, chorus de voix pompé sur land of 1000 dances et morgue à la Mitch Ryder: pas mal pour de la pop bubblegum !


Techniquement, on pourrait me rétorquer que ce n'est pas nécessairement un single bubblegum. En tout cas il a été publié par Kama Sutra, label collaborant à l'époque avec Buddah Records et  The Rapper comporte certaines caractéristiques typiques du genre: mélodie simple, répétitive et catchy, rythmiques marquées. The Jaggerz avait sorti un premier album sur le label de Gamble et Huff pour l'anecdote.


Finissons en beauté avec un très bon simple des 1910 Fruit Gum Co. de 1970. When We Get Married sonne comme un joli hommage au Wall of Sound de Phil Spector à mi chemin entre les Dixie Cups et The Ronettes, l'usage des castagnettes ne trompe pas ! La face B est une fascinante curiosité. Baby Bret est un instrumental plutôt rock & roll avec une bonne dose d'effets psychédéliques et spatiaux ! On pense évidemment à Psyché Rock par exemple !

samedi 19 août 2017

Achats Récents #13 groupes espagnols

L'été n'arrête certainement pas les achats de disques. Si vous suivez ce blog régulièrement vous savez l'intérêt que je porte aux groupes espagnols, notamment ceux des années soixante. Il est vrai que d'une manière générale j'ai un faible pour les groupes de beat ne s'exprimant pas en anglais, ayant l'occasion d'aller assez souvent de l'autre coté des Pyrénées, j'ai une collection sympathique de disques locaux. Coté disquaires, je vais régulièrement à Revolver du coté de la Carrer dels Tallers (à deux pas seulement des événements tragiques de cette semaine...). Les prix ont un peu augmenté, notamment les 33 tours de rock indé, mais cela reste très raisonnable dans l'ensemble. Un excellent spot pour farfouiller pendant des heures... Ainsi les 4 disques que je vais vous présenter aujourd'hui m'ont coûté la somme de 12 euros, en tout ! Après soyons honnête: la plus belle pièce, qui vaut à elle seule ce prix là, n'est pas dans un état Mint (je dirai qu'elle est VG). Étant toujours sur place, je suis preneur d'autres disquaires spécialisés dans la seconde main et ayant une offre en 45 Tours, si jamais...

La scène espagnole de l'époque est marquée par la richesse du nombre de formations, une certaine qualité générale, y compris de groupes très populaires ou encore l'usage quasi-exclusif du castillan. Bien entendu certains groupes ont surtout pratiqué les reprises de groupes anglo-saxons, par exemple los Mustangs avec les Beatles (un peu l'équivalent de nos Lionceaux); cependant les compositions originales sont non négligeables, ainsi quelques formations créèrent leur propre répertoire en grande majorité (Los Brincos, Los Pasos etc.). Les épicentres de la musique beat furent assez logiquement Madrid (Los Brincos, Los Relampagos, Los Pasos etc.) et Barcelone (Sirex, Mustangs, Salvajes, Cheyenes), Valence ou les îles tirèrent également leur épingle du jeu (Los Huracanes, Los Canarios etc.). Les groupes espagnols ne s'exportèrent pas franchement dans le milieu des années soixante à l'exception notable de Los Bravos y plus généralement des productions liées à Alain Milhaud (Los Pop Tops). A la fin de la décennie, l'underground prend le contrepied de ses aînés en utilisant majoritairement l'anglais (Maquinà, Smash, Evolution etc.). Détail amusant: dans d'autres pays, la Suède notamment, cela sera l'inverse, passant de groupes anglophiles (Tages, Hep Stars, Mascots) au Progg. 

Commençons notre petit tour par le joyau de la sélection: Es La Edad des Salvajes. Un des morceaux les plus fantastiques du rock ibérique... Un pur concentré de jeunesse avec une composition dynamique et explosive rappelant les Who que l'on peut aisément qualifier de freakbeat. La chanson est un des très grands moments des Salvajes au coté de Las Ovejitas, Soy Asi ou Al Capone ... La majorité du répertoire du groupe est composé de reprises, ici par exemple les Rolling Stones (Todo Negro est une reprise de Paint It Black), les Troggs (Una chica Igual que Tu) et Spencer Davis Group (Somebody Help Me devenant que alguien me ayude ). Vu la qualité des compositions originales de la formation, il est probable qu'il s'agissait des consignes du label... 


Sortons du registre Beat quelques instants. Los Modulos est une formation pop typique de la fin de la décennie. Todo Tiene Su Fin parue en 1969 sur le label Hispavox est certainement leur plus gros succès. La chanson est un très beau slow dans la veine de Nights in White Satin des Moody Blues ou de Rain & Tears des Aphrodite's Child (en bien meilleure que cette dernière que je trouve crispante). Elle m'évoque aussi les débuts de Martin Circus (Le Matin des Magiciens)... Arrangements raffinés, composition ambitieuse et lyrique (ce qui peut évidemment agacé), production soignée: un vrai classique de la pop espagnole ! A noter que la face B Nada Me Importa est également excellente...


Los Brincos est un, si ce n'est le, groupe majeur espagnol des années soixante. Il a la particularité de composer l'essentiel de son répertoire, rare pour l'époque, en Europe continentale comme ailleurs ! J'adore leurs premiers 45 tours comme Flamenco ou Baila La Pulga qui sont un parfait équilibre entre mélodies ibériques et énergie des premiers Beatles. Le compositeur en chef n'est autre que le batteur Fernando Arbex qui se fera connaître à l'international avec son classique proto-disco Woman des Barrabas. Je ne suis pas nécessairement un fan absolu de Lola la face A de ce 45 tours et je lui préfère par conséquent l'excellente The Train. Les deux morceaux sont extraits de leur album classique Contrabando que l'on peut considérer comme leur Sgt Pepper. L'album est enregistré en Angleterre par Larry Page, producteur des Kinks et des Troggs. La pratique était courante à l'époque, notamment en France (Polnareff, Eddy Mitchell, Johnny...). The Train frôle le pastiche de Substitute des Who mais ça reste un super morceau beat. D'autres 45 tours sont extraits de l'album, notamment El Pasaporte ou Nadie Te Quiere Ya deux des meilleurs morceaux de Contrabando.


Le duo Juan & Junior est un autre monument de la pop ibérique malgré une carrière discographique relativement courte étalée sur deux ans (entre 1967 et 1969) pour 6 simples et un album qui les compile. Cela à tient aussi au parcours des intéressés. Juan Pardo et Antonio Morales Junior (né aux Philippines à Manille pendant la seconde guerre mondiale, d'un père espagnol et d'une mère philippine) font en effet successivement parti de deux groupes majeurs des années soixantes: Los Pekenikes et Los Brincos. Dans les Pekenikes, l'un succède à l'autre au chant... En revanche ils font tous les deux partis du line up original des Brincos (qui inclut aussi le susnommé Fernando Arbex). Ils en partent en 1967 pour former leur propre duo qui obtiendra énormément de succès. Chacun des 45 tours du groupe présente au moins un très bon morceau. C'est le cas de ce simple de 1967 dont j'aime particulièrement la face B Bajo El Sol. Si la chanson démarre sur une fuzz au son menaçant, il s'agit avant tout d'une excellente composition pop psychédélique aux harmonies soignées.