mercredi 31 octobre 2012

Conjuguons la pop #26: outro


Déjà un mois ! Le temps est passé assez vite non ? En tout cas on a été ravi de le passer en votre compagnie ainsi que de nombreux disques francophones. On remercie énormément les 9 groupes et artistes d'avoir répondu à l'appel et à nos questions (Mehdi Zannad, Ponctuation, Cracbooms, Superets, Guillotines, Le Kid et les Marinellis, Jesuslesfilles, Aline et Philippe des Freluquets). On espère que notre dossier vous a fait découvrir des choses que vous avez aimées et aurez envies de creuser.

La semaine dernière l'émission "Monte le son" se demandait si le rock en français existait encore (avec un magnifique contresens sur les pauvres Mustang en passant) et on a bien envie de leur faire lire notre dossier à ce sujet. Pourquoi quand il s'agit d'évoquer le rock en français en revient-on toujours aux trois mêmes groupes (je vous épargne les noms)? On en vient à penser qu'il  n'y a rien d'autres, que faire autre chose n'est pas possible, nous avons voulu défendre l'inverse: oui on peut. 

Oui on peut faire de l'indie-pop de qualité en français (les Calamités, Aline, Cracbooms, Les Freluquets, Granville, Pendentif), on peut faire des choses noisy (Jesuslesfilles), énergiques (Ponctuation, Les Guillotines, Le Kid et les Marinellis, Les Lutins, Les Gypsys), du folk rock (Gamine), des balades dépouillées et belles (Mustang), totalement barrées (Evariste), avec des tripes (Nino Ferrer, Larry Greco), de l'humour (Edouard), avec des synthés (Superets, Lescop, La Femme , Bengale  , Marc Desse) ou baroque (Mehdi Zannad, Le Système Crapoutchik).
Bref vous êtes libres, le français ne vous contraint pas à faire de la chanson française (électrifiées ou non) ou du rock de papa pour RTL2 ! Non vous pouvez faire ce que vous voulez de cette langue, travailler les textes ou écrire très simplement mais honnêtement, utiliser des mots complexes ou très simples, écrire sur votre quotidien ou des images, voir des paroles surréalistes, les seules limites de français sont celles que vous vous imposez !   

Si on aime quand les groupes chantent dans leur langue, que ce soit le français, le polonais ou l'espagnol, on n'est pas non plus contre les groupes non-anglophones qui chantent en anglais évidemment: quand la musique est bien elle est bien, et je crois que c'est valable dans les deux sens. Si un morceau est génial, il le sera en français comme en anglais, et il parlera à des gens de la même manière, c'est la beauté de la musique, son universalité et ce malgré les langues. 

L'argument de l'anglais pour s'exporter est sûrement un des plus bidons que je connaisse, on peut justifier l'anglais de bien des façons pertinentes (esthétiques etc.) mais celle-ci n'en est pas une. Pour un Phoenix (dont le rêve était d'être plus américain que les américains) combien de groupes qui ne jouent que devant un public français? A l'inverse l'usage du français n'empêche pas Jesuslesfilles de jouer en Islande, Aline de publier des morceaux sur des labels indie-pop US ou Le Kid et les Marinellis de sortir leur album sur un label allemand. Bref les sentiments que procure la musique dépassent les frontières, c'est encore une des meilleures façons que je connaisse de partager avec les autres. 

Que vous chantiez en français, en anglais, en espagnol, si on aime la musique on en parlera ici et on essaiera à notre tour de transmettre un peu de notre passion à ceux qui le souhaitent. Et on se retrouve dès demain avec une interview trop cool ! 






en photo: les Calamités 

mardi 30 octobre 2012

Conjuguons la Pop #25: Mustang A71 (2009) et Tabou (2011)

Mustang on les aime beaucoup depuis leur premier album A71 sorti il y a maintenant trois ans, en 2011 il a été rejoint par Tabou que l'on a évoqué succinctement dans notre bilan 2011, il fallait qu'un jour on chronique ces deux excellents disques ! La tâche n'est pas si facile et je ne sais pas si je rendrais justice à ces disques mais je vous promets d'essayer.

Mustang avant A71 on les pas vraiment vu venir, et puis il y a eu cet album, porté par le single "le pantalon", ça nous a tout de suite interpellé et on s'est jeté sur l'album dès que l'on a pu le trouver (dans notre format favori: vinyle). On attendait du coup avec une certaine impatience son successeur Tabou, le morceau balancé en fusée éclaireur ("la princesse au petit pois") nous a littéralement rendu fou, et même si le reste du disque n'est pas aussi aventurier il s'avère excellent, au moins aussi bon que le premier voir meilleur sur la longueur.

Quand A71 sort le paysage francophone est assez morne, la vague des groupes de rock Naast, Second Sex et Shades s'est tassée après s'être pris une volée de bois vert globalement pas méritée. Cette scène n'a pas eu les chances de faire ses preuves sur la longueur, on l'a tuée dans l’œuf après peut être l'avoir exposée trop intensément trop tôt... Mustang ont retenu la leçon, ils prennent leur temps et essayent de développer une approche musicale originale et personnelle depuis Clermont-Ferrand (et maintenant Paris).Ils ont aussi dans leur rang un fin parolier en la personne de Jean Felzine, probablement une des plus belles plumes dans la pop française de la nouvelle génération, capable d'associer une écriture exigeante sans tomber dans le précieux ou le pédant.

Le texte de "Le Pantalon" est à ce titre une grande réussite, j'avoue ne toujours pas savoir comment comprendre ce texte, au premier degrés ? au second degrés? J'opterai bien pour un intermédiaire entre les deux, une manière de mettre les deux démarches face à leur incohérence. Le tempo du morceau est assez lent, le rythme a un coté un peu désuet de danse de salon interprété par une boite à rythme bancale d'orgue bon marché. La guitare au son très rock'n'roll répond à un synthé antédiluvien. La composition est belle et constitue à mon sens une chansons les plus fortes du groupe cependant elle ne doit pas faire oublier les titres plus uptempo du groupe tout aussi réussis.

"Je m'emmerde" "Anne-Sophie" ou "En avant en arrière" sont parmi mes favorites du groupe, Mustang s'essaie à quelque chose de plus rock n roll (influence évidente du groupe) sans jamais être un pastiche ou revivaliste. On est loin de Brian Setzer, certains trouveront à s'en plaindre, moi je trouve au contraire l'ambition de Mustang plus intéressante, celle de créer un son unique puisant dans un patrimoine "rock" riche mais sans jamais chercher à sonner  à l'identique (ce qui ne m'empêche pas d'adorer des formations très revivalistes aussi !). Mustang ne se revendique de pas grand chose, puisant ses références autant chez Suicide, Kraftwerk (A71 étant l'autoroute qui relie Clermont à Paris), Aphex Twin ("C'est fini" étant une adaptation de ce cher Richard D James) qu'Elvis, Nino Ferrer etc. Je pense que Mustang ne s'offusqueraient pas d'être considérés comme de la chanson française mais je pense qu'ils sont définitivement un groupe de musique Pop privilégiant autant la musique que les textes.

La capacité d'écrire des balades ne sonnant pas cucu-la-praline de Mustang est une de ses grandes forces. Sur le premier album je suis particulièrement fan de "La plus belle chanson du monde", la thématique explore le rapport à l'écriture, un sujet également abordé sur Tabou  à travers la très drôle et cynique "J'fais des chansons".


Tabou se conclut d'ailleurs sur une balade poignante et éblouissante "Où devrais-je aller ?", un piano-voix épuré absolument sublime. Ce genre d'exercice aurait tout pour me laisser froid sur le papier, mais le talent de Mustang arrive à m'y faire adhérer. A vrai dire je connais peu d'artistes capables d'arriver à tirer autant d'un arrangement aussi simple, l'autre exemple qui vient en tête (et qui n'a rien à voir même si je sais que les intéressés ont écouté leurs albums) c'est Big Star où Alex Chilton était capable de déployer avec trois bouts de ficelles des trésors de mélodies pop et des voix à tomber par terre. Mustang a un peu de ça dans cette chanson, un des meilleurs titres pour terminer un disque entendu ces dernières années (avec "paresse" de Mehdi Zannad  en France). 

"Restons amants" qui la précède est également une très belle balade aux arrangements soignés voir ciselés. Tout comme A71 Tabou alterne entre ces titres lents et des morceaux plus uptempo. Dans ce registre "Niquée" ou "Tabou" tirent très bien leur épingle du jeu. Le morceau titre bien que plus produit que ce que l'on trouvait sur A71 a un feeling live et une intensité dont le premier album pouvait parfois manquer. Peut être aussi que le groupe a pris plus de confiance en live? Les synthés très 80s apportent une touche vraiment cool. Comme sur le premier album Mustang s'est faufilé avec une certaine élégances entre influences assumées, sonorités piochées dans l'héritage et une volonté de modernité et d'originalité (sans "forcer le trait" non plus) qui s'exprime peut être particulièrement dans les presque 6 minutes de la géniale "la princesse au petit pois". 

Mustang nous refait le coup de la boite à rythme pré-programmée (que l'on trouve aussi sur "le pantalon" ou "Anne Sophie") dans une odyssée fantastique qui passée entre les mains de Carl Craig ferait de ce titre une infernale machine à danser pour les clubs de house music exigeants, quelque chose s'approchant de son remix d'Angola de Cesaria Evora  . La ligne de basse propulse le morceau, elle a quelque chose d'obsédant, structure le morceau laissant à la guitare un rôle plus souple presque impressionnistes en ajoutant des touches ici et là pour souligner le texte ou la mélodie. Le morceaux me fait aussi penser au superbe "tonight's today" de Jack Penate qui n'a malheureusement pas réédité l'exploit depuis. "La princesse au petit pois" est un morceau ambitieux, il ouvre à Mustang des possibilités que l'on espère les voir explorer dans la suite de leur discographie même si on souhaite aussi qu'ils nous pondent des balades aussi somptueuses que ce que l'on trouve sur A71 et Tabou.



PS: ils ont sorti il y a quelques semaines un EP de reprises choisies chez Gainsbourg, Bashung ou Coutin, plutôt pas mal mais pas aussi décisif que leurs albums. On apprécie quand même sans bouder notre plaisir une belle cover de "chez les yéyés" par exemple.


Mustang - La princesse au petit pois (radio edit)

dimanche 28 octobre 2012

Conjuguons la Pop #24 : Interview avec Philippe Lavergne des Freluquets 2/2


Suite de notre interview avec Philippe Lavergne, la première partie ici .

En 1992 vous sortez Discorama, tu passes au chant, pas trop difficile ? 
Super difficile ! Une semaine entière à chercher ma voix et à l’enregistrer. Nous nous étions séparés de Stoyan peu de temps auparavant car je ne supportais plus son attitude de diva (à mes yeux), son caractère hyper compliqué et torturé et ses textes qui ne me parlaient pas beaucoup. De plus l’attitude de la presse à son égard (« le nouveau Philippe Pascal ») ne me plaisait guère. Je ne cherchais pas à faire des nouveaux Freluquets des Marquis de Sade ou Marc Seberg bis, et cela me gênait que l’image du groupe soit à ce point faussée. J’essayais de créer les Pale Fountains français et on était loin du compte. Donc en passant au chant je tentais de me rapprocher de mon objectif.
Avant l’enregistrement du second album Lionel Beuque (Welcome To Julian) nous a dépanné au chant quelques mois jusqu’à ce qu’il parte fonder son propre groupe. Dommage qu’il ne soit pas resté car il avait une super attitude et nous avons joué nos meilleurs concerts avec lui dans le groupe (Route du Rock 1991 notamment). Il était un véritable aimant à groupie en plus…

As-tu cherché des inspirations pour le placement de ta voix ?  
Non, pas vraiment. Il ne s’est passé que quelques jours entre le départ de Lionel et le début des sessions de l’album donc je n’ai pas eu le temps de réfléchir. Il n’y avait pas d’autre candidat non plus. J’ai essayé de faire de mon mieux et c’était quasiment de la torture : une semaine non-stop de chant (par exemple, avec Aujourd’hui Madame pour l’album qui n’est jamais sorti, j’ai fait toutes les voix en une session, sans souffrir une seconde comme j’ai souffert lors de Discorama). Encore une fois mes références sont anglo-saxonnes donc si je fouille un peu je crois que j’ai inconsciemment puisé l’inspiration chez Michael Head, Pete Shelley, Bernard Sumner, et Malcolm Eden notamment.

Comment s'est déroulé l'enregistrement de Discorama ? 
Le plus difficile que j’aie jamais connu. La première mauvaise idée : chosir un producteur novice et sociopathe. Deuxième mauvaise idée : enregistrer en Allemagne car ses amis y avaient un studio. On aurait dû rester en France ou aller en Angleterre (Ian McCulloch était intéressé). Il y avait beaucoup de tensions dans le groupe car le départ de Stoyan avait déclanché quelque chose de négatif. Rosebud ne nous soutenait plus vraiment (d’où certains choix malheureux de notre part), on n’avait pas de budget logistique pour l’enregistrement donc on s’est retrouvé à ne s’alimenter que de pain turc et d’eau gazeuse jusqu’à ce qu’un ami proche (merci encore Pascal Alidra !) nous envoie un mandat et que l’on puisse enfin manger (et re-boire) convenablement. J’ai perdu 3 kilos… En plus la plupart des morceaux n’était même pas terminé ou sans texte avant d’entrer en studio donc on s’est mis une pression très forte. On se disputait pour des broutilles (« Tu as marché sur mon jack ! », véridique…), Denis devait passer des exams à Jussieu et avait donc la tête ailleurs et n’est resté que 4 jours. Patrice a dû rejouer la plupart de ses guitares car cela n’allait pas. Rodolphe a décidé de ne plus jouer de la batterie au milieu des sessions pour privilégier des programmations. Ensuite il est parti car il s’ennuyait. Patrice et moi avons été les seuls à ne pas baisser les bras. Mon enthousiasme et ma foi dans le groupe avaient un temps convaincu les autres membres que l’on pouvait arriver à quelque chose malgré tous les problèmes que nous affrontions mais je crois qu’ils étaient plus réalistes que moi et c’est pour cela qu’ils ont quitté le navire à ce moment-là. Je me suis obstiné, et bien secondé par Patrice, on a quand même fini l’album. Mais à un moment, on s’est fait virer du studio par le producteur pendant deux jours parce que nous n’étions pas d’accord avec sa production (synthés partout) et il l’a très mal pris.  

Votre son a pas mal évolué entre La Débauche et Discorama, as-tu été influencé par ce qui se passait en Angleterre (Madchester, Shoegaze) ?
J’écoute toujours beaucoup de nouveautés et bien sûr nous n’étions pas insensibles aux Happy Mondays et Stone Roses. Nous aimions beaucoup Galliano (sur Talkin’ Loud) également et Electronic. Mais les influences principales pour ma part étaient Shack, McCarthy et The La’s. Rodolphe était le plus branché électronique et dance music. Je ne me souviens plus très bien ce qu’écoutait Denis mais Patrice aimait surtout Anton Dvorak. Donc on essayait d’assimiler tout ça, en français. De plus nous étions passés d’une session d’enregistrement de 4 jours pour « La Débauche » à une de 3 semaines pour « Discorama », dans un meilleur studio qui plus est.

Discorama me semble avoir une tonalité plus légère et joyeuse que La Débauche, étiez-vous dans un état d'esprit différent ? 
Oui et non. A l’époque du premier LP on ne se connaissait pas encore tous très bien, et Stoyan était le portrait type de l’artiste maudit, ce qui se ressentait dans ses textes qu’il avait écrits depuis un certain temps déjà. Mais on était assez optimiste par rapport à notre potentiel, avec des chansons du calibre de « Les Portes » ou « Mémorie » notamment. Les Freluquets étaient sur une bonne voie.
Les textes de « Discorama » étaient plus légers car écrits laborieusement en studio, et je me disais à ce moment-là, avant d’entrer en studio, que si nous ne parvenions pas à enregistrer cet album le groupe se désintègrerait à cause des dissensions qui apparaissaient de plus en plus. Ce qui est arrivé malgré tout un peu plus tard. Donc l’état d’esprit était beaucoup plus négatif un an plus tard seulement.

Sur les deux disques tu as un son souvent très clair et parfois jangly ("Les portes" ou "Chanson du Nord"), quels guitaristes t'ont influencé ? 
J’étais le guitariste rythmique donc je ne sais pas si mon son avait une grande importance mais comme je le disais plus haut, ceux que j’appréciais étaient Tim Gane, Edwyn Collins, Paul Weller bien sûr, Will Sargeant, Paul Handyside (Hurrah !), John Head. J’attache souvent plus d’importance au son d’un guitariste plutôt qu’à sa technique même si je ne peux pas nier que Stuart Adamson, Richard Lloyd et Dominique Laboubée m’impressionnaient considérablement.

De quels groupes te sentais-tu proche à l'époque des Freluquets? 
Sincèrement, à part Gamine qui sont devenus des copains, aucun. Naïvement je pensais que nous pourrions créer une sorte de scène pop française avec nos contemporains mais la compétition (et ce au sein-même de Rosebud) était trop forte. Il n’avait pas vraiment d’esprit d’équipe (les European Sons exceptés) et le cynisme et la prétention de certains me désolaient. Par exemple, j’étais plus proche de St Christopher (que j’ai aidé à enregistrer chez Lenoir) que de n’importe quel groupe de l’Hexagone.

Les Freluquets se séparent en 1992…
Après « Discorama » et ses faibles ventes, Rodolphe et Denis ont arrêtés. Les répétitions post-album étaient tristes, infructueuses et toujours tendues. La certaine euphorie des premiers mois avait disparu pour ne laisser place qu’au doute. On a tourné avec Franck et Dilip des Chaplinn’s comme remplaçants pour promouvoir le disque mais Rosebud ne croyait plus en nous et nous a lâchés. Pourtant notre single « Un Souhait » passait pas mal en radio et BMG Publishing nous avait signés mais Alan a dû sentir que la direction que nous étions sur le point de prendre ne lui plairait pas (Patrice et moi adorions « Seamonsters » de The Wedding Present). Enfin, je suppute car il ne nous a jamais rien dit à ce sujet et c’est un coup de fil de mon frère (designer en chef pour le label) qui m’a appris que nous n’étions plus des artistes Rosebud. On donc décidé de passer à autre chose et de durcir le son, par réaction de colère en quelque sorte.

Tu montes ensuite Qu4tre…
Assez vite en fait, puisque suite à une annonce Patrice et moi recrutons le guitariste Thierry Volver qui nous amène le batteur Pierre-Jean Grappin (qui officiera ensuite chez Holden). Mais après le 1er concert au Rex Club Thierry nous quitte suite à un désaccord vestimentaire. Je n’avais jamais connu ça auparavant ni depuis. Nous sommes quand même restés bons amis. On ne savait pas trop où nous tourner pour trouver un remplaçant et c’est après une interview avec le regretté Pierre Golfier pour le magazine Another View que nous le convainquons de nous rejoindre.

Vous changez de nom, besoin d'un nouveau départ ?
Tout à fait. On aurait déjà dû le faire pour les Freluquets quand j’ai rejoint Rodolphe à Paris. Là la musique était une nouvelle fois bien différente puisque Pierre a amené avec lui son goût prononcé pour la noisy-pop, Sonic Youth et My Bloody Valentine entre autres, et Pierre-Jean une précision et une technique absentes des précédentes formations. Et il était clair que j’étais à nouveau le patron même si j’acceptais toute forme de collaboration de la part des autres membres du groupe. Du coup plus de tensions et un vrai plaisir de se retrouver pour faire de la musique ensemble.

  
Vous sortez le mini-lp Un Jour, J'irai en Norvège…
Nous avons obtenu 20 000 francs de BMG Publishing en leur faisant croire que nous allions enregistrer des démos. Puis j’ai financé le reste pour créer Hype !, notre label et sortir le disque.

Un mot sur le titre du disque ?
C’est une référence à un EP des Membranes acheté par mon frère Patrick, « All Roads Lead To Norway » qui est un jeu de mots qui signifie « all roads lead to nowhere ». Comme pour « Discorama » qui m’est venu tout de suite quand Christophe m’a téléphoné pour savoir quel titre mettre sur la pochette, celui-ci à l’humour un peu absurde s’est imposé tout seul. Je n’y suis toujours pas allé d’ailleurs.

Comment s'est déroulée la collaboration avec Damian O’Neil (Undertones, That Petrol Emotion) ?
Quand j’ai lu que That Petrol Emotion dont j’aimais beaucoup le dernier album autoproduit se séparait, j’ai contacté JD Beauvallet (qui avait chroniqué positivement notre 1re démo, me surnommant à tort le « Johnny Marr français ») pour avoir le numéro de Damian. Je lui ai envoyé notre démo la plus récente et sans attendre sa réponse je me suis rendu à Londres pour le voir et le convaincre. A ma grande joie il a accepté tout de suite et ce fut le début d’une grande amitié. Avec lui tout s’est très bien passé puisqu’il a en plus accepté de jouer sur le disque et nous a guidés vers un résultat dont je suis encore fier aujourd’hui. On a passé 10 jours intenses en Normandie, à supporter l’Eire pendant la Coupe du Monde 1994 aux USA, à manger super bien à la ferme et à boire tous les jours à 17 h des tonnes de bières pas chères. Et à enregistrer accessoirement les bases de l’album. Les finitions ont été faites à Londres, au studio Bang Bang, en une semaine, avec un magnéto analogique 16 pistes dont la location avait été payé en herbe.
Malheureusement, on n’a pas eu les moyens de sortir tous les titres mis en boîte et c’est bien dommage. Nous n’avons pas réussi à trouver davantage de fonds malgré la participation à plusieurs compilations et la crédibilité que cela a pu nous donner.

Était-ce un rêve qui se réalise? 
Complètement. Je me souviens encore du jour où mon grand-frère apporta en 1979 le 45 tours « You’ve Got My Number » des Undertones à la maison. Ce fut le coup de foudre, alors me retrouver aux côtés du guitariste principal de ce groupe des années plus tard pour travailler sur mes chansons est quelque chose que j’ai du mal à réaliser encore aujourd’hui.
Quels ont été les retours sur ce mini-lp ?
Les Inrocks l’ont ignoré mais tous les autres magazines rock ou fanzines de l’époque en ont dit du bien. Nous n’avons eu que des chroniques positives, chose qui n’était pas arrivée avec les Freluquets. Lenoir encore une fois l’aimait bien lui aussi. On avait décidé d’être original avec les journalistes et au lieu de leur faire parvenir le CD tout de suite (par souci d’économie aussi), on leur demandait de nous contacter si notre bio les interpellait. Ça a bien marché. 

Je crois que vous avez eu des problèmes de distribution ?
Oui, malheureusement le distributeur avec lequel nous nous étions mis d’accord, Média 7, a cessé de distribuer le CD au bout de 6 mois, sans raison et sans nous prévenir. Donc, les gens qui entendaient le disque sur les radios associatives, chez Lenoir, lisaient les articles qui nous étaient consacrés, ou venaient nous voir en concert, ne pouvaient plus se le procurer. On en a donc encore un stock...
Comme tout le monde, on en a vendu une centaine au Japon.

Comment se termine l'aventure Qu4tre ?
Au bout de 4 ans, Pierre ne pouvait plus supporter la pression qu’il s’imposait en tant que guitariste lead (il se sous-estimait sans cesse) et il a quitté le groupe. On a engagé quelqu’un d’autre et c’est ensuite Pierre-Jean qui nous a laissé tomber pour rejoindre Holden (eux avaient un vrai label). Pascal Delbano, qui joue de  la batterie sur mon prochain disque, nous a donc rejoints et nous nous sommes alors tournés vers Stoyan que j’étais content malgré tout de retrouver, pour créer autre chose : Mars (comme le mois), avec comme influence principale Cornershop, mais toujours en français.

Et depuis qu'as tu fait de beau ?
Vers la fin des Freluquets Rodolphe et moi avons accompagné Dominique Dalcan sur les routes et un peu en studio pendant 6 mois, puis en 1997, après une année de Mars, j’ai arrêté la musique pendant quelques mois suite au décès de ma mère (et Stoyan était tombé d’une fenêtre pendant l’été). J’avais perdu la motivation. A la fin de l’année j’ai retrouvé Rodolphe qui s’essayait à la musique électronique dans son coin pour créer Bassmati (hommage à Bassomatic et au riz qui est la principale nourriture de Rodolphe le Malgache). Plusieurs compilations, des remixes pour des artistes internationaux et français (Tommy Hools, Concorde Music Club), deux 25 cm chez Kung Fu Fighting Recordings, du djing, on avait la cote en Allemagne, cela a duré deux/trois ans.
Puis il y a eu la création d’Aujourd’hui Madame en 2000. J’avais envie de composer et d’écrire à nouveau. Un bassiste, François Jazkarzek, a été trouvé grâce à Internet, et j’ai demandé à Pierre-Jean de nous aider. Il a amené le clavier de Holden avec lui et après deux démos et un concert ils nous ont quittés. Franchement, j’étais soulagé car l’atmosphère dans le groupe était devenue irrespirable : divergences d’attitudes et d’objectifs. J’ai donc rappelé Pascal de Mars et après un an de recherche, Fabrice Vidal nous a rejoints à la guitare. Je vais essayer de faire court : pour une fois dans ma vie on a trouvé un management, qui s’est avéré catastrophique, et on a enregistré un album qui bien entendu n’a jamais vu le jour, à part 3 titres sur le label Susy Records qui sortira un autre EP un peu plus tard et l’album de mon nouveau projet, Country Club, en 2013 je suppose. Aujourd’hui Madame s’est donc arrêté à mon départ pour raisons familiales aux USA en 2006. Anecdotiquement, François joue aujourd’hui avec Thierry Volver au sein des New Beatniks, et cela s’est fait par hasard.
Grâce à Thomas Deligny (Concorde Music Club), qui produisait son album, j’ai joué en 2005 sur 6 titres de l’album « By Paris, By Taxi, By Accident » de Bill Pritchard. Une super expérience puisque j’étais fan (surtout de ses premiers albums).

Je crois que tu t'intéresses encore pas mal à la musique actuelle, j'ai vu que tu étais fan de Woods ou Craft Spells (deux formations dont nous sommes également fans) sur ta page fb, quel regard jettes-tu sur la scène pop actuelle ?
Je suis surpris par le nombre de groupes qui sonnent comme The Field Mice ou The Wake époque Sarah, la réverb longue en plus. Et que la musique qui me passionnait dans la 2e moitié des 80’s soit encore au goût du jour. Donc je suis plutôt ravi.
Mais à cause d’Internet il faut des mois entiers pour écouter tout ce qui se fait aujourd’hui (alors qu’adolescent je pouvais passer 6 mois sur un seul album) et c’est donc une tâche de longue haleine que de se maintenir à jour sans suivre aveuglément des magazines ou des sites qui te mangent le travail.

Y-a-t-il des formations françaises actuelles qui te parlent ?  
Pas des masses vu que je vis aux USA mais j’aime bien Aline, qui mérite son succès (même s’ils sont marseillais…) et A Part Time Punk qui avait fait la 1re partie d’Aujourd‘hui Madame à Paris (il est aussi le guitariste de Lescop). Par ailleurs j’ai du mal à ne pas considérer Mustang comme un groupe de variété donc je n’accroche pas du tout. Le culte voué à Biolay me surprend aussi. Mais là, on n’est plus dans la pop qui nous intéresse.
Je crois que la différence que je peux ressentir avec les groupes pop moderne français en général est que je me considère comme un artisan et non pas comme un artiste. Une différence de classe sociale sans doute…
Je suis donc à distance et grâce à Magic cette nouvelle scène française mais rien ne me bouleverse comme Sea Pinks, The Pale Lights, Magic Bullets, The Drums, The Sea And Cake, Peasant, Beat Connection, Orca Team, Minden, Jens Lekman, Two Wounded Birds, Exlovers, Teenage Fanclub, The Orange Peels, Elephant Stone, Kelley Stoltz, Lightships, Weird Dreams, Woods, Low, The See See, White Birds, Craft Spells, le dernier Dexys, The Jungle Giants, Matt Pond Pa, Lace Curtains, Letting Up Despite Great Faults, Seapony, Richard Hawley, Princeton et j’en passe, peuvent le faire.
En bon provincial (et ce même si j’ai vécu 17 ans à Paris), je recherche toujours sans doute cet exotisme que je trouvais dans les groupes britanniques (pour la plupart) qui ont bercé mon adolescence et me permettaient de sortir de la banalité de mon quotidien.

écouter Aujourd'hui Madame, le groupe  de Philippe Lavergne sur myspace.  
Philippe est actuellement dans Country Club

Un énorme merci !


Les Freluquets - la spirale


Qu4tre - Les Orgueilleux


Qu4tre - Confessions D'un Homme Moderne



samedi 27 octobre 2012

Conjuguons la Pop #23: Interview avec Philippe Lavergne des Freluquets 1/2


J'avais découvert un peu par hasard les Freluquets en me baladant dans les méandres du net (la chronique du premier album). Quel dommage qu'un aussi beau groupe indie-pop français soit à ce point ignorer de nos jours, à RPUT on voulait leur rendre hommage et on s'est dit qu'interviewer Philippe Lavergne de la formation serait vraiment trop cool. On a eu de la chance il a accepté et c'est une fierté pour nous de pouvoir aujourd'hui vous en faire profiter, on espère que ça aidera à faire découvrir ce super groupe.

Salut Philippe, comment es-tu tombé dans la musique pop ?
Mes parents, qui se sont rencontrés dans un magasin de disques à Paris, avaient beaucoup de 45 tours à la maison (Beatles, Beach Boys, Rare Bird, Cat Stevens, etc.), les hits de l’époque surtout donc j’ai toujours baigné dans la pop (on écoutait aussi beaucoup la radio, RMC en particulier, quand ils y passaient encore de la musique) et à mon avis, pour qu’une chanson soit réussie il faut que l’on puisse en retenir la mélodie. 

Quel(s) groupe(s) t'a (ont) donné envie de faire de la musique ?
J’ai eu  la chance d’avoir des frères qui achetaient beaucoup de disques (notamment des imports d’Angleterre) à la fin des 70’s et au début des 80’s et qui lisaient le NME donc nous étions au courant de ce qui se faisait de bien dans ces années.
The Jam me faisaient rêver mais me paraissaient inaccessibles (trop forts !), j’aimais beaucoup The Clash aussi mais ce sont The Chords, dont je suis un grand fan, qui m’ont poussé à prendre la Fender Musicmaster de mon frère Christophe et former un groupe. Leur énergie, quatre musiciens (le nombre de membres parfait à mon avis), les mélodies (encore !), la Rickenbacker 330 du chanteur Billy Hassett, un batteur fantastique, les photos du verso de l’album (« So Far Away »), un disque qui a bien vieilli en plus, tout ça m’a séduit, au grand dam de mon frère Christophe d’ailleurs qui les aborait.

As-tu eu d'autres groupes avant les Freluquets ?
Des groupes de lycée (Spasme, Vision Flash, Parade) dans lesquels je jouais de la batterie puis Furythme où je tenais le rôle de leader pour la première fois, à la guitare et au chant. Je voulais écrire et être sur le devant de la scène ! J’avais 19-20 ans. Mon tout premier enregistrement (un album autoproduit enregistré en 4 pistes, sorti en K7) date de cette époque. Ce sont sur ses cendres que sont nés les Freluquets.

Qu'est-ce qui t'a poussé à monter les Freluquets ?
La 4e (!) formation de Furythme commençait à connaître de nouveaux problèmes de personnel (guitariste démissionnaire, batteur « hédoniste ») donc on a décidé qu’il fallait tout changer.

Comment se sont formés les Freluquets ?
Je suis parti en vacances à Bristol en Angleterre en 1986 et ce fut la révélation ! En assistant aux concerts de Tallulah Gosh, Razorcuts, Mighty Mighty, Chesterfields, entre autres, en me rendant plusieurs fois par semaine chez le génial disquaire Revolver, et en enregistrant sur cassettes la collection de singles impeccable des amis qui m’accueillaient j’ai trouvé l’inspiration. Je retrouvais chez ces groupes plusieurs choses que j’aimais : l’essence véritable du punk (DIY), une certaine innocence en plus, une esthétique (mélange des mods et des punks, on pouvait aimer The Jam et The Clash), une insouciance peut-être, en tout cas une absence de cynisme bienvenue. Et avec des chefs de file comme Orange Juice, Hurrah !, The Smiths, ou Jesus And The Mary Chain, ce mouvement ne pouvait que me plaire….
A mon retour en France, comme on ne trouvait pas de second guitariste, ma copine de l’époque a appris toute seule le clavier pour intégrer le groupe, et on a cherché un chanteur pour que je puisse me concentrer sur la guitare. Le seul que l’on ait vraiment auditionné, Luc Miquel, un collègue de travail, fut le bon. Il correspondait tout à fait à ce que l’on essayait d’être : un groupe pop, avec de l’humour et de l’énergie. On a galéré pour le nom et c’est une autre collègue de bureau qui sans le savoir (et en m’insultant) a trouvé celui que nous cherchions depuis des semaines : les Freluquets.

Vous venez de Perpignan, comment était perçue l'indie-pop là-bas, et ailleurs?
A l’époque Perpignan était une ville essentiellement rock, quasiment rétrograde dans son attitude vis-à-vis de la musique. C’est le sud, on est loin de la capitale et des modes (mais c’est la capitale des mods). J’ai d’ailleurs formé les goûts musicaux de la plupart des membres du groupe avec moultes compilations-cassettes, pour qu’ils s’imprègnent de l’esprit de ce que je cherchais à créer. Donc l’indie-pop n’était appréciée que par une poignée de clients du disquaire Lolita (qui sortira notre 45 tours) chez qui l’on pouvait se procurer les imports, britanniques surtout, de Danceteria. Perpignan donc ne nous trouvait pas assez « rock » mais Toulouse, avec sa population étudiante, était plus réceptive.

Chanter en français était-il un objectif dès le départ ?
Tout à fait. Je ne voyais pas l’intérêt de chanter en anglais alors que nous étions (et sommes encore) français. Nous n’aurions pas pu traduire notre humour et nos préoccupations dans la langue de Shakespeare. En plus nous n’avions ni le niveau ni l’accent pour ça ! Et personne en France ne chantait ce que nous voulions entendre (à part Gamine un peu plus tard), donc autant le faire nous-mêmes. J’ai quand même écrit ma première chanson en anglais « Love Story » deux ans après la création des Freluquets, en partie parce que jétais sorti avec une Anglaise (Cathy Williams, si tu lis ces lignes…), et parce que j’essayais de m’inspirer de « Frans Hals » de McCarthy. Par contre sur scène on reprenait « Felicity » d’Orange Juice, « Unionize » des Redskins, « The Model » de Kraftwerk, « Police On My Back » des Equals, « Daddy Cool » de Boney M et « Boy About Town » des Jam.

Qu'apporte, selon toi, le français à une formation comme la vôtre ?
C’était essentiel. Encore une fois nous n’aurions pas pu nous exprimer ou faire passer quoi que ce soit de vrai, d’honnête (ce qui était super important pour nous) dans une langue que nous ne maîtrisions pas. Les textes étaient souvent le fruit de conversations que l’on avait entre nous ou avec nos amis, d’idées que nous échangions, de séries ou de films que nous regardions donc étroitement et logiquement liés à notre langue.

Etais-tu chargé d'écrire les textes? Chez qui puisais-tu ton inspiration ?
N’importe qui dans le groupe pouvait écrire, il fallait juste que les textes plaisent à tous et qu’ils soient bien écrits. Comme je composais tous les morceaux j’écrivais plus que les autres mais les textes de Luc et de Cécile étaient également bien accueillis et jétais bien content qu’ils s’y collent aussi.
Paradoxalement mon inspiration ne venait pas du tout de chanteurs ou de groupes français mais de gens comme John O’Neill, Pete Shelley, Paul Weller, Edwyn Collins, Malcolm Eden, tous britanniques. Ils me « parlaient » davantage que n’importe lequel des musiciens français, toute génération confondue. Même si j’aimais Bijou, les titres en français des Dogs et Warum Joe.

Comment s'est passé l'enregistrement de votre premier 45 tours "De Nos Jours" en 1987 ?
Nous avons remporté un tremplin rock co-organisé par le disquaire Lolita et la défunte radio locale RMS (chez qui j’avais une émission hebdomadaire) dont le premier prix était l’enregistrement et la fabrication d’un 45 tours. Nous sommes allés à Toulouse au studio Condorcet, si mes souvenirs sont bons, pour y enregistrer pendant 2 jours. On nous a mis dans un petit studio avec un 12 pistes digital Akai et un assistant mais comme on n’y connaissait pas grand’ chose c’était génial et l’ingénieur s’est avéré très réceptif et ouvert. Donc que de bons souvenirs même si l’on a bu le pire vin de notre vie dans le resto routier en face du studio.

Quels ont été les retours sur ce disque à l'époque en France, à l'étranger ?
Le retour principal en France fut la bonne chronique dans les Inrocks bien entendu, et dans les fanzines comme In The Rain qui nous apportèrent des « fans » dans des régions où nous n’avions pas encore mis les pieds. Par contre aucune idée d’éventuels retours à l’étranger, à part une approche furtive et infructueuse d’un label espagnol. L’internationale indie-pop n’était pas encore née malheureusement.


3 ans s'écoulent entre le 45 tours et le premier album La Débauche (1990), que s'est-il passé pendant ce laps de temps ?
Virgin nous a fait venir à Paris pour discuter et on devait faire la 1re partie de Black (« It’s A Wonderful Life ») au Casino de Paris  mais cela n’a rien donné. Ensuite notre batteur Rodolphe est parti s’y installer et cela a ralenti le groupe. Je n’imaginais pas les Freluquets sans lui donc on devait lui payer l’avion pour qu’il nous rejoigne à chaque concert et les autres membres du groupe en ont pris ombrage. Je traversais en plus une période de doute et de frustration : on avait fait le tour dans le sud et on ne jouait nulle part ailleurs, j’avais l’impression que j’étais le seul à progresser et mon entourage me poussait à virer Luc, notre chanteur au comportement de plus en plus « rock ‘n’ roll ». Le remplaçant de Rodolphe n’était pas à la hauteur et après la première partie de Julian Cope (avec Mike Joyce des Smiths) à côté de Toulouse le 11 novembre 1988, j’ai décidé de rejoindre Rodolphe à Paris et de reformer le groupe là-bas. Entre-temps nous avions travaillé sur des démos et encore gagné l’enregistrement d’un 45 tours (que les Inrocks ont moins aimé cette fois) lors d’un tremplin à Toulouse en 1988 mais le disque n’est jamais sorti. Les bandes et la pochette ont disparu à tout jamais.

Vous avez dû repartir de zéro à Paris ?
Avant que je n’arrive à Paris Rodolphe avait déjà trouvé un bassiste, Patrice Rul, et un chanteur ténébreux, Stoyan C. On voulait surfer sur le succès d’estime de « De Nos Jours » et on a donc eu la mauvaise idée de garder les Freluquets comme nom de groupe alors que l’esprit et les aspirations n’étaient plus les mêmes. Sans parler des 3 membres que l’on avait abandonnés à Perpignan ! On ne jouait d’ailleurs que deux chansons du précédent répertoire : « Du Sable Dans Mes Chaussures » (sur « Discorama ») et « Love Story » (sur « La Débauche »). On a répété pendant des mois plusieurs fois par semaine pour créer de nouveaux titres, avec les textes de Stoyan principalement. Rodolphe insista pour que je ne sois plus le seul « patron ». En bon démocrate j’ai assez facilement accepté (un certain temps…). Pendant les premiers temps je squattais à droite à gauche chez des amis, j’étais au chômage et sans argent, il faisait froid, j’étais loin de ce que les Anglo-Saxons appellent ma « comfort zone ». Mais c’était Paris !

La perception de votre musique autour de vous (concerts, etc.) était-elle différente de celle de Perpignan ? 
 Complètement ! A Perpignan notre public nous connaissait bien puisque nous étions de la même ville et que nous fréquentions les mêmes endroits. Les concerts dans le sud étaient de vraies fêtes après lesquelles souvent on buvait et on riait beaucoup. Notre « following » s’appelait d’ailleurs le Tequila Sporting Club.
A Paris ou en Bretagne où l’on a beaucoup joué, le côté festif propre à notre esprit sudiste a disparu au profit d’une meilleure maîtrise musicale et les textes de Stoyan étaient bien plus introspectifs que ceux que l’on pouvait écrire auparavant. L’attitude a donc bien changé à tous les niveaux.

Comment avez-vous signé chez Rosebud ? 
Dès que Rodolphe, Stoyan, Patrice et moi avons eu assez de morceaux nous les avons enregistrés en 8 pistes et grâce au fanzine In The Rain qui nous aimait bien nous sommes entrés en contact avec Alan Gac qui nous a signés très vite. On a dû être la 2e signature de Rosebud je pense. On s‘était mis entre-temps à la recherche d’un guitariste lead pour étoffer notre son et Denis Colson est arrivé. L’album a suivi assez vite.

Parle-nous de l'enregistrement de "La Débauche"
Pas un super souvenir car il a été baclé et je trouve toujours le son pourri : 4 sessions de 8 heures dont la moitié passée à enregistrer la batterie ! Rodolphe nous faisait une petite crise de manque de motivation dont il avait le secret (cela se reproduira avec « Discorama »). 
Petit budget, petit studio, ingé son pas motivé car cela se passait entre Noël et le jour de l’an, formation qui se cherche encore, pas assez de chansons pour ne choisir que les meilleures, bref pas les conditions idéales. 
J’espérais autre chose, cela ne correspondait pas à mes rêves. J’aime encore la plupart des chansons quand même et les Inrocks l’ont inclus dans leur liste des classiques français des 90’s donc il y a du positif malgré tout.

Quelles ont été les évolutions musicales importantes entre le 45 T et l'album selon toi ? 
L’implication de Rodolphe dans la composition de certains morceaux et l’apport de Denis et sa Gibson 335. C’était le Maurice Deebank français tout simplement et c’étaient nous qui l’avions ! Ensuite, la petite guéguerre d’égos qui s’est vite déclarée dans le groupe entre les guitaristes : même si nous aimions tous deux la pop et des musiciens comme Tim Gane et Jeremy Kelly (Lotus Eaters, Wild Swans), nous étions souvent en désaccord (surtout lui). Cela s’est ressenti dans les compositions. Stoyan avait sa propre approche/démarche également donc on n’allait pas tous forcément dans la même direction, alors que la formation perpignanaise était beaucoup plus unie.

Quelles ont été les réactions à la sortie ? 
Plutôt bonnes puisque les ventes ont été honnêtes pour un groupe de notre niveau. L’album a été chroniqué positivement à peu près partout et encore une fois l’appui des Inrocks et de Bernard Lenoir qui joua en avant-première le flexi du morceau « La Débauche » a été déterminant dans notre petite carrière. Lenoir nous invita souvent dans son émission par la suite et nous enregistrâmes deux sessions pour lui (une pour Europe 1, l’autre pour France Inter). Best ne voyait pas trop où l’on voulait en venir mais au moins ils en ont parlé… Il y avait une nouvelle vague de groupes français au même moment (voir la compil « Contresens » initiée par les Inrocks) et on s’est laissé porter par elle. Je pense encore aujourd’hui que nous étions les plus intéressants du lot.


Les Freluquets - Les Portes

La suite demain mes chers amis !

vendredi 26 octobre 2012

Conjuguons la Pop #22 : interview avec Cracbooms


En ce vendredi 26 octobre nous recevons Cracbooms d'Aurillac. On a aimé leur EP et en live on les a carrément adoré, on espère vite entendre de nouveaux enregistrements! En attendant on les reçoit sur le blog dans le cadre de notre dossier consacrer à la meilleure façon de conjuguer français et musique pop.

Pouvez-vous nous présenter Cracbooms ?
Cracbooms c’est de la pop en français, musicalement inspirée par des sons indés américains ou britanniques. On aime aussi beaucoup ajouter une touche de musiques plus africaines ou caribéennes.
 
Comment est née la formation ? 
En 2008 à la suite d’une soirée arrosée où nous avions décidé d’arrêter le groupe dans lequel nous jouions tous. Je crois qu’il y avait beaucoup de Berger Blanc.
 
Votre nom est-il une référence à Jacques Dutronc ?
Oui c’est exact. On ne revendique pas Jacques Dutronc comme notre principale référence, mais le soir où le nom du groupe a été décidé nous écoutions «Les Playboys ». Nous avions aussi conclu qu’un groupe indé se doit d’avoir un nom super long est impossible à prononcer. Mais « The Crac Boom Hue », c’était un peu trop.
 
Présentez nous les membres de Cracbooms
Clément Warlier est chanteur guitariste. C’est lui l’auteur de nos paroles. Thibaut Plantecoste est le bassiste, Benoît Puechbroussou le batteur, et moi, Jérôme Laporte le guitariste. On est tous copains depuis très longtemps. Les répétitions sont maintenant devenues une excuse pour manger des pizzas et boire des bières ensemble.
 
Êtes-vous dans d'autres formations en parallèle ?
Rien de notable. On a tous des formations imaginaires qui s’appellent « Bato chinois », « Panda », « Vaggues » et « Enjoliveur ». Actuellement on se consacre tous à 100% sur les Cracbooms.

Vous avez sorti votre premier EP en 2011 après un split single en 2010
 
Comment avez vous enregistré ces 4 titres ?
On a enregistré dans notre studio de répétition à Aurillac en deux jours avec notre ami ingénieur du son Paul Sepchat. Il a fait le mixage dans sa chambre la semaine suivante. C’était en août 2011. Ce n’était pas un super été pour nous tous alors nous avions eu pas mal de temps pour préparer ces quatre chansons.
 
Quels ont été les retours sur ce disque ?
Plutôt très bons. A part quelques exceptions de personnes qui haïssent par pur principe et quelques autres qui nous ignore sans raison. Nous étions très contents et confiants pour cet EP, mais les retours ont dépassés nos espérances. Nous sommes très fiers d’avoir eu les honneurs de la revue Magic RPM, de personnes comme Christophe Basterra et de blogs comme Gonzaï. Nous avons touché beaucoup de gens grâce à Internet et il faut remercier les premiers petits blogs qui ont parlé de nous, ce qui a entrainé un vrai effet boule de neige.
 
Le sortir en vinyle représente-t-il quelque chose de particulier pour vous ?
Oui. Pour nous c’est vraiment un objet qui symbolise la musique qu’on aime. C’est le lien le plus direct entre les vieux groupes que nous adorons et la musique que nous aimons aujourd’hui.
 
Sur le split vous chantiez en anglais, comment s'est faite la transition avec le français ?
La transition a été très rapide. Lors de l’été 2010 nous avons arrêté des jouez nos vieilles chansons en anglais pour seulement se concentrer sur celles en français.
 
Qu'est-ce qui vous a poussé à changer ?
Au départ c’est Clément qui avait eu le besoin d’écrire des textes en français. Peut-être avait-il passé beaucoup de temps avec Jean Felzine des Mustang à cette époque. Un jour il nous a montré deux chansons en répétition. Nous les avions essayé en étant très sur la défensive. Mais il est apparu très vite que c’était une évidence de continuer en français.
 
Selon vous, qu'apporte le français ? 
Beaucoup. Déjà un vrai sens et une ambiance à nos chansons. Et puis le fait de jouer des chansons dans notre langue maternelle nous permet de vraiment les posséder, de se dire que ce sont nos morceaux, et de les jouer avec leurs qualités et leurs défauts. Je pense que si un jour nous travaillons sur d’autres projets, ils ne peuvent qu’être en français.
 
Comment écrivez-vous les textes ?
C’est Clément qui les chante et les écrit. Il le fait seul en s’isolant du groupe. Quand il nous les présente nous donnons notre avis, et très rarement nous changeons un ou deux mots. Je crois que nous sommes les premiers fans de son écriture et nous le suivons unanimement.
 
L'EP est-il représentatif de vos sets sur scène ?
Question difficile ! Dans toutes les rencontres faites après les concerts, certaines personnes pensaient voir quelque chose de plus « noisy » et d’autres sont étonnés que ça le soit autant ! Je pense que c’est dans notre nature de jouer fort, vite et sans fioriture. Mais nous prenons toujours soin de garder le sens premier de chacune de nos chansons. Par exemple nous jouons « @soleil » avec le plus de douceur possible et nous enchaînons avec une version très bruyante de « Bato Chinois ». Le mieux c’est de venir nous voir pour vous faire un avis !
 
Vous venez d'Aurillac, comment y est la scène ? Des groupes à  nous faire découvrir ?
A Aurillac nous avons la chance d’avoir un super studio de répétition gérer par une super asso appelée « Love Mi tendeur ». Il y a quelques années plein de petits groupes s’étaient formés mais cela s’est bien calmé aujourd’hui. Il faut dire que c’est plutôt un handicap qu’autre chose de venir d’Aurillac quand on voit le peu de considération que portent nos élus locaux à la musique indé. On a un studio mais pas plus. Par contre il y a des gens qui se bougent vraiment comme les quadragénaires du collectif « Le Mange Disque » qui éditent un fanzine, ont une émission radio et organisent des soirées vinyles où la bière coule à flot. Il y a aussi un mec épatant qui s’appelle Géraud Bastar et qui est impressionnant à voir en live.
 
Vous êtes proches de Mustang, il y a-t-il un esprit propre au centre de la France ?
Je ne pense pas. Si nous sommes proches de Mustang c’est parce que nous avons pas mal trainé ensemble avant qu’ils ne signent chez Sony. Je crois qu’à l’époque ce qui nous a rapproché c’est que nous étions un peu à part de la scène clermontoise très portée sur le rock garage pur et dur, limite sectaire et la folk.
 
Vous sentez-vous proches d'autres formations (françaises ou non) humainement ou artistiquement ?
On adore Pendentif aussi bien humainement qu’artistiquement. Je crois qu’on a une vision assez similaire de la musique et de tout ce qui se passe en ce moment pour nos deux groupes. Artistiquement on aime beaucoup ce que fait François and the Atlas Mountains, le dernier album et tout ce qu’il a fait avant. Petit Fantôme tourne aussi en boucle chez nous. Lors de nos concerts nous avons rencontrés des gens supers comme les All Cannibals de Caen et dernièrement les nancéiens de Capture qui nous ont mis une bonne claque en live.
 
Vos projets ? 
Etre sur la compilation « Éducation française volume 2 » et faire le coming next du grand journal. En vrai nous sommes en train de composer pleins de belles chansons. Nous nous concentrons vraiment à faire quelque chose de parfait. On a vraiment envie de les enregistrer, de les sortir rapidement et de les jouer sur scène.
 
Vos prochaines dates de concert ?
Le 9 novembre à l’OPA Paris. Et normalement deux dates surprises à Clermont et Paris début décembre pour promouvoir un disque de Noël édité par la Coopérative de Mai où nous reprenons « Bons Baisers de Fort de France » de la Compagnie Créole. Pas plus de concerts pour le moment car nous voulons vraiment peaufiner les nouvelles chansons. On reprendra début 2013.

On peut acheter leur 45 Tours sur Bandcamp, et allez les voir en live !



jeudi 25 octobre 2012

Conjuguons La Pop #21 : Edouard - Les Hallucinations EP (1966)

Second 45T de la journée sixties et francophone: le très chevelu Edouard !

De son vrai nom Jean Michel Rivat, l'intéressé est par la suite parolier de Joe Dassin mais avant cela il commet sous le nom d'Edouard une parodie terribles des Elucubrations d'Antoine qui lui valu un procès d'ailleurs. 

Les hallucinations d'Edouard est une parodie du fameux titre d'Antoine. Ce dernier a créé un vrai séisme dans la musique et engendré une belle descendance de pastiches comme celui-ci ou de mecs lancés plus ou moins pour surfer sur l'état d'esprit (comme Evariste). Le titre est irrésistible, à la fois drôle et rythmé, il est au moins aussi cool que le titre qui l'a inspiré voir d'avantage. La face A est complétée par le très folky (y compris jusqu'à l'harmonica) "tu pleures alors je reste" , le titre que j'aime le moins des 4 mais il est pas si mal que ça (et toujours mieux que la plupart des yéyés !). 
"My name is Edouard" est une sorte de réponse à Michelle des Beatles, c'est encore une fois très drôle et particulièrement groovy, notamment grâce à d'excellents arrangements (l'orgue est vraiment super). Ce morceau est top! La face B se clôt sur l'excellent "qu'est-ce qui tourne en rond chez moi", une autre parodie d'Antoine (d'un autre titre de l'EP "les élucubrations"). Les textes sont encore une fois à mourir de rire et la musique super! C'est rythmé avec une bonne gratte et encore une fois une super partie d'orgue. Cette face B est un sans-faute!

Bref Edouard fait certes dans la parodie et le disque humoristique mais avec une qualité que peu de 45T novelty peuvent se targuer. C'est peut être pour ça que cette pièce est assez apprécié des collectionneurs sans non plus atteindre des côtes vertigineuses (mais bon ils vous en coûtera une quinzaine d'euros tout de même si jamais vous étiez tentés). Ah oui, et le titre que je vous ai mis en écoute est compilé sur la très bonne Gentlemen de Paris tout comme le Larry Greco de l'autre jour, youpee ! La vidéo est super drôle aussi (youtube).


Edouard - My name is Edouard


Conjuguons la Pop #20 : Les Lutins - Laissez nous vivre (1966)

Aujourd'hui sur RPUT on a décidé de mettre les bouchées doubles avec deux excellents 45 tours francophones sixties. Premier épisode les Lutins.

On a déjà eu l'occasion parler de cet excellent groupe québécois ici même il y a quelques temps mais pour les absents voilà ce qu'on peut dire d'eux. Les Lutins étaient des teenagers québécois (le chanteur avait environ 16 ans au moment de l'enregistrement de cette galette!) originaires de la ville de St Hyacinthe considérée comme la Liverpool québécoise, en effet cette cité portuaire accueillait nombres de formations de beat parmi lesquelles Les Hou-Lops, les Sultans, etc. Les Lutins ont obtenu un succès populaire non négligeable au Québec: bonne nouvelle pour nous les 45 Tours sont souvent très abordables, notamment leurs classiques "Je Cherche" ou celui qui nous intéresse aujourd'hui "Laissez-nous Vivre" sortis sur le label Carrousel.

La face B "Dany" n'est pas franchement bandante, elle est assez gnangnan et a été écrite par leur producteur, en revanche "Laissez nous Vivre" un original du groupe est de leurs meilleurs morceaux aux cotés des "Petit Joe" ou "Girl". La chanson démarre en trombe sur un riff bien vicelard, déboule cette voix d'un ado qui crache ses tripes dans le micro.Comme les Gypsys les Lutins écrivent ce qu'ils connaissent et vivent, ils sont sincères et honnêtes et transpirent de l'esprit de la musique rock n roll (ou beat, garage, appelez ça comme vous voulez). Les textes me semblent moins proches d'un Dutronc adolescent comme sur "Je cherche". Le refrain est un poil gnangnan mais le riff du couplet est tellement bon que l'on oublie vite ce petit détail.

Les Lutins sont une des belles formations de garage québécois 60s au coté de groupes comme les Haunted ou les Misérables, une scène que je ferai bien de creuser un peu plus un jour!


Les Lutins - Laissez-Nous Vivre



mercredi 24 octobre 2012

Conjuguons la Pop #19 : interview avec Alex des Guillotines


Les Guillotines ont sorti un single sur mon label il y a un an, ils enregistrent ces temps ci de nouveaux morceaux. Ils défendent un garage-rock en français depuis 6 ans et sont en quelques sortes des cousins de Ponctuation ou du Kid & les Marinellis. J'ai le plaisir d'avoir pu discuter avec l'un des deux guitaristes chanteurs: Alexandre.

Salut Alex, peux-tu nous présenter le groupe ?
Salut Alex ! Les Guillotines c’est Marion à la batterie, Samy à la basse, ainsi que Yves à la guitare et au chant, et moi-même, au chant et à la guitare.
Yves et moi, on s’est rencontré à la sortie du lycée ; on voulait tous deux former un groupe de garage-punk, du coup, j’ai pris la basse. Quelques semaines plus tard, on s’est rendu compte que ça fonctionnait mieux avec deux guitaristes/chanteurs, j’ai alors repris la guitare.
Le fait de devenir un quatuor nous a amené à affiner notre son, délaissant l’approche Punk, pour se diriger, petit à petit, vers quelque chose de plus Pop.

Depuis quand existez-vous ?
La première mouture du groupe s’est formée en 2006, avant que Samy ne nous rejoigne en 2009, et Marion est aux fûts depuis Janvier 2012.
Apparemment, nous fonctionnons par cycles de 3 ans.

Vos premières compositions étaient-elles déjà en français ?
Oui, dès le départ, Yves et moi avions l’ambition d’écrire dans notre langue maternelle.

Comment écris-tu dans notre langue ?
Je n’aime pas raconter des histoires ; j’aime insinuer des images directement dans la tête des gens.
Mon délire, c’est que chacun puisse s’approprier  ces « éclairs », selon sa propre expérience.
Souvenirs d’enfance, échecs, doutes ou certitudes.
J’assemble des vignettes autour d’un thème, en essayant d’y mettre ce qu’il faut de personnel, dissimulé sous l’universalité de notre condition.
J’essaye d’écrire, comme d’autres font des puzzles.

Qu’est-ce qui t’inspire pour les textes ?
Je me sers de l’écriture pour mettre un point final aux idées fixes qui peuvent stagner dans ma tête…

Ton style est-il différent de celui d’Yves ?
Yves a un style beaucoup plus verbal que le mien : il utilise plus de mots.
Il aime employer un lexique léché, voir même parfois tombé en désuétude ; ce qui donne à ses textes/chansons, une certaine dimension nostalgique.
J’aime penser que chaque personne à son style d’écriture, conscient ou non, qui est quelque part le miroir de sa psyché.

Ecris-tu d’abord les textes ou la musique ? Comment s’articulent les deux ?
Je pars toujours d’un squelette de quelques phrases et d’une suite d’accord ; j’enrichis ensuite cette base, avec d’autres parties (refrain, pont, outro …).
Une fois que j’ai le plan du morceau, je finalise le texte.

Comment places-tu ta voix, as-tu des sources d’inspiration pour t’aider à chanter en français ?
Pas spécialement, bien que j’apprécie de nombreux groupes ou chanteurs francophones, j’ai plutôt tendance à m’inspirer des anglophones, la façon dont ils mâchent les mots, ou les étirent : ils n’hésitent pas a maltraiter la langue, pour le bien de la mélodie.
J’aime particulièrement les arrangements vocaux des Pixies.

Penses-tu que le français soit compatible avec le rock en général ?
C’est évident ! Il y a eu, et il y a encore, de nombreux groupes qui chantent en français.
En fait, tout est une question de mode(s) : dans les années 60, les chanteurs Yéyé adaptaient des standards anglophones, dans les années 80, la majorité des groupes de rock alternatif chantaient dans notre langue.
Mais depuis les années 90 et le début de la French Touch, la tendance est à l’anglais.
A coté de ça, au Québec, beaucoup d’artistes emploient le Français.

Fais-tu une différence (écriture, composition, production …) entre les chansons que tu destines aux Guillotines, et les autres ?
J’écris toutes mes chansons de la même manière, même si le résultat final est différent.
Seul, j’aime m’entourer de machines en tous genres : synthétiseurs analogiques, boites a rythme, sampleurs …
Je ne vois pas l’intérêt de défendre un autre projet, si c’est pour faire la même chose.

Comment une de tes compositions devient une chanson des Guillotines ?
En l’abandonnant au collectif.
Aucun d’entre nous ne pourrais composer une chanson des Guillotines, seul.

Considères-tu les Guillotines comme un groupe de Garage Rock ?
Je dirais plutôt que nous sommes un groupe de Pop, d’obédience Garage.

Avez-vous l’impression de faire parti d’une scène ?
J’ai plutôt l’impression de faire parti d’une secte !

De quels groupes vous sentez vous proches ?
De tous les groupes qui font de la musique référencée, mais originale, en Français.
Ca me fait plaisir de voir que des groupes comme Aline ou La Femme existent : ils font ce qu’ils ont envie de faire, et ils le font bien.
Nous sommes bien sûr aussi à l’écoute de ce qui se passe ailleurs, et Wavves, The Growlers ou encore les Triptides ont sortis des disques qui tournent pas mal sur nos platines.

Penses-tu que le français influence l’opinion que les gens ont de vous ?
Je l’espère ! C’est un choix artistique majeur, ça définit notre son, au moins autant que notre formation musicale.

Crois-tu que le français soit un frein pour être écouté à l’étranger ?
Je ne pense pas : j’ai déjà écouté du Punk Polonais, par curiosité, ou encore du Rock Brésilien, par exotisme.
On écoute de la musique pour les émotions qu’elle véhicule, pas foncièrement pour la langue employée, même si la compréhension du texte amène une profondeur supplémentaire.

Avec Les Guillotines, vous avez sorti un 45T il y a un an, peux-tu nous le présenter ?
« L’Aube/L’Absinthe » est sortie en septembre 2011, via le label Croque Macadam ; nous avions fait le choix de mettre une balade Pop en Face A, et une chanson plus frontalement Garage, en face B.
 
Avez-vous eu de bons retours dessus ?
Oui ! Sans vraiment nous y attendre, nous avons eu le droit à quelques lignes dans Magic et Rock’n’Folk, et à plusieurs articles sur la blogosphère.
Notre seul regret, c’est de ne pas avoir été pris pour cible par des « haters ».

Peut-on espérer une suite à ce premier simple ?
Nous enregistrons actuellement une dizaine de chansons, pour les proposer à des labels dans le courant de l’année 2013 ; l’objectif est de sortir plusieurs 45T, avant de retourner en studio, probablement pour enregistrer un format plus long.

Vos prochaines dates de concerts ?
Nous jouerons le 29 octobre à l’Espace B, avec les italiens The Barbacans, ainsi que No Whisky for Callahan, puis le 30 novembre avec The Kumari et les Daltons.
Nous espérons vous y retrouver, et avoir l’occasion de présenter de nouvelles chansons !

On peut acheter le 45 Tours sur Bigcartel et aussi bandcamp


L'illustration est de Marion Brunetto (son blog) également batteuse du groupe.

mardi 23 octobre 2012

Conjuguons la Pop #18: Nino Ferrer - Enregistrement Public (1966)

Le hasard fait bien les choses, en rangeant mon bureau pour retrouver un truc je suis retombé sur la réédition cd d' Enregistrement Public de Nino Ferrer, l'occasion était trop belle pour ne pas la saisir: Nino est dans notre dossier Conjuguons la pop!

Que dire sur Nino? Oui je l'appelle Nino même si je ne le connais pas, et que je n'ai même pas eu conscience de sa mort quand il s'est suicidé en 1998. Je l'ai découvert bien plus tardivement en fait, quand mon intérêt pour les 60s en France a été décuplé par diverses sources (la Nuggets 2, le livre Antiyéyé), et depuis il fait parti de mes chouchous de cette époque au coté de Dutronc ou Polnareff. Nino Ferrer s'est semble-t-il toute sa vie senti incompris, en tout cas artistiquement parlant. Quand il écrivait des chansons aux textes subtiles, parfois acides et souvent remplis de non-sens (il faut écouter les textes fabuleux de Madame Robert par exemple) le grand public l'a associé à des hits novelty comme Mirza ou le Téléfon , pas nécessairement représentatifs de son répertoire. La blague s'est reproduite diverses fois, y compris dans les 70s quand Métronomie fait un bide mais qu'un single extrait de l'album (la maison près de la fontaine) devient un énorme succès. La grande méprise autour de Nino Ferrer est de la prendre pour un chanteur de variété rigolo alors que ce mec avait un amour profond pour la musique et aurait aimé être pris un peu plus au sérieux (et à juste titre, certains textes très premier degrés peuvent être particulièrement touchants).

Avant son virage progressif et rock des années soixante-dix Nino Ferrer était un gros fan de soul américaine, sa musique dans les 60s transpire souvent du son Stax (en particulier Otis Redding et Booker T and the MGs), du Rhythm n blues de Ray Charles ou James Brown. Cette facette est largement représentée dans Enregistrement Public. L'erreur serait de considérer ce disque comme de la variété, non Nino fait de la blue eyed soul et avec un talent stellaire. La formation faire la part belle aux cuivres et à l'orgue hammond inspiré de Bernard Estardy "le Baron" bien groovy et jazzy, on est jamais loin de Jimmy Smith ou Georgie Fame. Si ce live est probablement un faux comme de nombreux enregistrements publics de l'époque (enregistré en studio avec des rajouts de bruits de foule pour donner l'impression du direct) les musiciens se donnent à fond, la tension est presque palpable. Nino dirige les débats avec grâce et vigueur. Lui qui était si élégant (et en un sens il est tout autant mod que ne peut l'être Dutronc!) emporte tout sur son passage. Je veux être un noir est un aveux de sa part: il aurait aimé pouvoir chanter comme Ray Charles ou James Brown, cependant s'il n'a pas le coffre de ses idoles Nino n'en a pas moins une voix incroyable, on le sent sur le fil, profondément honnête, terriblement intense! Non Nino tu n'étais pas un noir mais tu avais saisi l'âme de la soul et tu es un de ceux qui l'a le mieux adaptée à sa culture de part le monde. Nino Ferrer se place très facilement parmi les meilleurs chanteurs blancs de son époque dans la catégorie des Eric Burdon, Reg King ou Steve Marriott. Des mecs capables de retranscrire l'intensité de la soul sans la copier de trop près.

Cet album est presque un sans-faute et s'écoute très bien d'une traite (deux pour les puristes: on doit retourner le disque entre les deux faces), c'est assez rare dans le paysage français 60s où les LP étaient souvent des compilations d'EP agrémentés de fillers histoire de combler les interstices. Il y a de nombreux moments de pure grâce. Il faut écouter par exemple "Pour oublier qu'on s'est aimé", à mon avis la meilleure version de cette chanson (il en existe trois: une antérieure avant son succès populaire, et une au début des 70s). Ce morceau est sincère, il est intense, le texte est très direct, pas d'ironie, pas de non-sens ici, juste Nino qui balance des mots de ses tripes. Il y a quelques reprises notamment le fameux Les Cornichons (l'original est instrumental de James Booker: Big Nick) ou une superbe version de It's Man's Man's Man's World de James Brown ( si tu m'aimes encore ), on est loin des insipides yéyés: Nino prend la chanson à bras le corps et se l'approprie. On trouve de nombreux classiques du répertoire du franco-italien sur cet LP: Mirza, Les Cornichons, La Bande à Ferrer, Oh Hé Hein Bon, Mme Robert etc.

Enregistrement Public est un vrai concentré du Nino Ferrer 60s et une merveilleuse introduction à ceux qui souhaiteraient se lancer dans la discographie d'un des chanteurs les plus mésestimés de France de ces 50 dernières années. Il démontre la possibilité de s'approcher de l'esprit de la musique Soul en français dans la langue. L'intensité que met Nino dans sa musique devrait inspirer plus d'un revivaliste soul qui s'attache parfois d'avantage à soigner les détails et l'apparence plutôt que se mettre en danger en chantant comme si plus rien d'autre ne comptait, comme si c'était la seule chose qui avait une vraie importance, et c'était le cas pour Nino Ferrer.

L'album a été réédité en vinyle et il est disponible pour une modeste somme en cd.


Nino Ferrer -  Pour oublier qu'on s'est aimé