samedi 20 août 2016

Great Pop Supplement: la fin

Cet été pas de canicules spectaculaires mais les dernières semaines n'en furent pas moins meurtrières pour une catégorie qui nous particulièrement à cœur sur ce blog: les labels de pop. Il y a quelques jours nous vous annoncions la fin de Fortuna Pop! label britannique emblématique indie-pop, désormais nous pouvons aussi compter parmi les disparus The Great Pop Supplement.


GPS (pour les intimes) était une structure à bien des égards uniques: petits pressages, artworks très soignés (avec généralement des découpes très complexes dans les pochettes, des effets d'optique...), pas de distributeur... Le catalogue était d'une classe folle et regroupait tout ce que nous aimons ici, du shoegaze de Lucid Dream en passant par la pop byrdsienne des See See (et Hanging Stars ), les volutes psychédéliques (Violet Woods) ou l'indie-pop romantique et élégante (le très bel album de By The Sea). Un véritable label of love (pour pasticher l'expression Labour of Love) conçu et géré par le seul Dom Martin, l'intéressé se chargeait ainsi de distribuer en direct avec les disquaires ses sorties, les rendant parfois difficile à débusquer, heureusement pour nous autres parisiens disponibles chez Pop Culture, toujours à un prix relativement raisonnable.


Great Pop Supplement était donc à bien y regarder unique: aucune envie de vendre des palettes de disques, juste sortir de la très bonne musique magnifiée par de très beaux objets le tout à des prix assez démocratiques. L'attitude était rafraichissante en 2016, dans un contexte d'inflation des prix et de créations d'éditions limités particulièrement chères y compris par des labels indépendants. GPS était un label de passionné de pop pour les passionnés de pop, conçu comme un fantasme de fan, une structure humble mais ambitieuse et classe, le genre de labels que l'on a envie de chérir et placer pas très loin dans notre panthéon personnel de Sarah Records ou Creation, ce mélange de super musique, d'attitudes DIY sans en faire des caisses, de volonté de défendre une certaine idée de la pop...


Dom gère également deux autres labels (Deep Distance et Polytechnic Youth), ces derniers sont maintenus et continueront de sortir des disques. Consacrés à la musique électronique (kraut/cosmic/berlin school pour le premier, plus synth-pop/expé/punk pour le second), l'arrêt de GPS la branche pop interpelle d'autant plus. J'imagine ainsi que ce n'est pas une question d'argent mais plus de lassitude. Par rapport à quoi ? la pop en générale ? la pop en ce moment ? J'ignore la réponse, peut-être aussi tout simplement l'impression d'avoir tout dit sur le sujet... Cette interrogation résonne étrangement en moi néanmoins.


Je suis triste qu'un label aussi élégant et qualitatif que Great Pop Supplement s'arrête, j'espère que sa disparition sera remplacé par d'autres labels de pop à guitares tenus par des passionnés, j'en doute un peu mais j'espère sincèrement me tromper. En tout cas merci Dom pour ces super disques ! On se quitte d'ailleurs sur un de mes groupes favoris du catalogue: By The Sea.


lundi 15 août 2016

Les Dogs (en français)

Les Dogs, au cours de leur longue et tumultueuse histoire, illustrent peut-être mieux qu'aucune autre formation la singularité d'être un groupe de rock français. Ainsi, sont-ils peut-être l'une des figures emblématiques d'une scène underground nationale dans les années 80.

Dans les années 80 la vague punk originelle (celle de76/77) appartient déjà au passé. Certes les crêtes et les perfectos sont toujours de sortie dans les puces de Camden mais ils font désormais plus parti d'un folklore que des forces vives de la musique. Le mainstream, après avoir été bousculé par ces morveux accoutrés bien étrangement, a absorbé la révolte et l'a recrachée dans une musique bien plus tolérable pour le grand public. Il en est de même pour le revival mod: les jeunes personnes élégantes et arrogantes ont grandi, les groupes se séparent presque tous, le dernier album des Jam paru en 1982 semble ainsi marqué la fin d'une époque soldée par la victoire de MTV. Les années 80 sont une décennie où le synthétiseur et les clips (les images) sont hégémoniques. Bien sûr ces outils peuvent produire des choses fantastiques mais ils n'en démodent pas moins instantanément le rock, bien souvent pour le pire. Celui-ci pour la première fois de sa courte existence n'est plus sous la lumière des projecteurs. Il s'en accommode et 1983 marque ainsi au niveau mondial, l'émergence d'un  underground qui prend diverses formes pendant la décennie: Paisley Underground (Rain Parade, Bangles, 3 O'Clock, Dream Syndicate), indie-pop (Pastels, Television Personalities...), garage revival (The Crawdaddys, The Miracle Workers...), College Rock (Replacements), Hardcore (Black Flag) etc. Deux figures tutélaires s'imposent aux États Unis et en Angleterre: REM et The Smiths. Ces deux groupes ont de nombreux points communs, enfants du punk ils n'en sont pas moins plus traditionalistes et revendiquent un héritage, notamment des années 60 (Byrds, Velvet...).


La France n'est pas à l'écart et bien que plus âgés, les Dogs sont peut-être l'équivalent français de ces formations. Les normands n'ont pas le même background ni le même son mais pourtant ils viennent aussi de cette culture sixties et s'imposent comme l'un des groupes de référence de l'époque. L'histoire des Dogs croisent ainsi de nombreuses autres: Olivensteins, Snipers, Calamités... Leur parcours raconte également en creux une décennie d'évolution du rock français de la fin des années 70 à la fin des années 80, du mirage du succès à leur retour à l'activisme. Une France rock underground qui vénère les Flamin' Groovies, les Cramps, les Real Kids, les groupes Pub Rock anglais ou de rock australien et les voient jouer dans de petites salles. La scène locale se développe fortement, elle est soutenue par des fanzines (Nineteen en tête) et quelques labels (New Rose, Closer). Tous sont amoureux des Nuggets, beaucoup admirent Alex Chilton, Stiv Bators ou Johnny Thunders.... 

Jusqu'au décès de leur leader, Dominique Laboubée, en 2002, les Dogs n'ont eu de cesse de jouer, soit presque trois décennies (le groupe s'était formé en 1973) ! L'essentiel de leur discographie se fait cependant sur une dizaine d'années s’étalant entre la fin des années 70 les années 80 durant lesquelles ils suivent de près l'évolution du rock. Les Dogs, après des débuts sur le label de Rouen Mélodies Massacre (du nom du magasin situé... dans la rue Massacre), sont repérés par Philips. Le label, comme tous les gros de la place, cherche son "groupe punk", ils signent les normands et leur font enregistrer deux albums Different (1978) et Walking Shadows (1980). Les ventes étant insuffisantes selon les pontes, le groupe est relâché dans la nature avant d'être signé chez Epic. Chez ces derniers les Dogs enregistrent Too Much Class (1982), Legendary Lovers (1983), Shout (1985) et More More More (1986) avant d'être à nouveau débarqués pour les mêmes raisons...Une histoire terriblement banale que beaucoup de groupes français connaissent encore aujourd'hui (Mustang en tête).


Les Dogs ont gagné leur statut de groupe culte français à la dure, ils n'ont jamais renoncé et ont toujours défendu une idée du rock pur et proche de ses racines. Si les disques ou les concerts ne sont pas toujours égaux et géniaux (les 4 premiers albums sont cependant des classiques), la pugnacité du groupe et sa volonté d'exister en font une sorte de figure ultime du rock, un rock humain et humble, porté par la foi et la passion dans l'électricité. Cette authenticité les Dogs la cultivaient aussi en chantant en anglais (assez approximatif), un choix délibéré de coller le plus possible à l'essence de cette musique y compris son idiome. Ainsi ce fut systématiquement les maisons de disque qui poussèrent les Dogs à s'essayer au français, le besoin d'avoir des singles diffusables en radio. À la fin des années 2000, le choix de l'anglais ne fut plus un frein pour obtenir un succès conséquent souvent pour le pire (par exemple les tièdes Pony Pony Run Run ou Cats on Trees), inversant même le rapport de force (le français devenant la position des outsiders), jusque là l'anglais était proscrit pour les petits français...

Les Dogs n'enregistrèrent, à ma connaissance, que 4 morceaux dans notre langue, deux pour chaque gros labels: Philips (1980) et Epic (1984). Pour pousser Walking Shadows la maison de disque incite les normands à enregistrer un simple promotionnel avec les morceaux Cette Ville est un Enfer et Trouble Fête. Epic en fait de même à l'époque de Legendary Lovers avec une version en français de Secrets et l'inédit Mon Coeur Bat Encore. Si le groupe rechignait à utiliser le français (la peur de perdre une partie de leur essence?) ces quatre chansons constituent pourtant parmi mes préférées du groupe et démontre le savoir faire de la formation y compris en français (pour le faire sonner naturellement et fluide).

Cette Ville Est Un Enfer (1980) est un de mes morceaux de rock français favoris, autour d'une ligne de basse menaçante, sinueuse et d'une mélodie économe de guitare, les Dogs se rapprochent de l'esprit et du son du post-punk, la chanson est ainsi sombre, la tonalité cafardeuse mais non sans quelques giclées de lumière. La face B Trouble Fête s'approche du punk, elle est  rentre-dedans et agressive, elle est aussi plus classique mais portée par un texte d'Eric Tandy. La diction se rapproche d'ailleurs de celle des Olivensteins ou des Rythmeurs. C'est un bon morceau mais probablement celui que j'aime le moins des 4.

 
Secrets (1984) est une version en français du morceau du même nom, extrait de l'album Legendary Lovers produit par Vic Maile, un ingénieur anglais expérimenté qui a notamment travaillé avec de nombreux groupes pub rock (Dr Feelgood, Eddie and the Hot Rods, Pirates, Inmates) mais aussi de punk (Vibrators, 999, Lurkers) et quelques autres formations cohérentes avec les genres susnommés (Motorhead et les Godfathers). Si le CV de l'intéressé laisse à présager du muscle et de la sueur, Secrets (version française) est pourtant une chanson délicate, son rythme nonchalant et légèrement sautillant évoque le galop d'un cheval et les grands espaces américains, le chant légèrement maniéré de Laboubée rend justice à l'excellent (et juste) texte français (écrit ou co-écrit par Tony Truand?). Secrets serait-il le trésor caché de l'indie-pop française? Certes le groupe n'est pas habituellement relié au genre mais quand on voit la parenté entre Vélomoteur (1987) des Calamités et Crash (1988) des Primitives, est-ce si idiot de voir en Secrets un autre exemple français ?

Mon Cœur Bat Encore est l'ultime tentative des Dogs de se frotter à notre langue et quelle réussite ! Un super morceau rythmé et enjoué que l'on a envie de reprendre à tue-tête en dansant frénétiquement. Il évoque  A Millions Miles Away des Plimsouls, Natasha des Roxette ou encore What I Like About You des Romantics, soit une certaine idée de la fête, de l'optimisme, de l'envie d'aller de l'avant... Peut-être le texte est-il en lien avec l'état d'esprit du groupe à l'époque? L'envie d'encore y croire.

Par la suite le groupe ne fit plus d'autres tentatives en français, il continua à creuser le même sillon inlassablement et ce, jusqu'à la fin, tels des missionnaires ne sachant rien faire d'autre. Le parcours des Dogs, en plus d'être exemplaire, n'est que trop symptomatique du rock en France, celui qui préfère Téléphone à Bijou, Trust à Edith Nylon etc. Ainsi le rock français en plus d'être tiraillé entre le besoin de se rapprocher de l'idiome et celui de s'en émanciper est-il confronté à l'absence totale de compréhension de la part des grandes maisons de disques et de la plupart des très grands médias (trop agressif, pas assez sérieux, trop adolescent, pas assez intelligent...). Quelle meilleure conclusion par conséquent que Mon Cœur Bat Encore ? Un message d'une folle actualité en 2016 en France quant au rock et à sa perception.


lundi 8 août 2016

L'infortune de Fortuna Pop!

Il y a une dizaine de jours Sean Price annonçait la fin de Fortuna Pop! lors du festival Indietracks (qui est un peu à l'indie-pop ce qu'est le Psych Fest d'Austin à la scène psychédélique actuelle). Cette nouvelle met fin à plus de 20 années d'activisme pop (le label avait été créé en 1995). Au delà de la tristesse d'apprendre la disparition d'un label, c'est aussi un pan de l'indie-pop - et pas le plus obtus - qui disparaît. Le catalogue du label en est une excellente illustration, des figures cultes comme Comet Gain (toujours impeccable), Tender Trap (avec l'unique Amelia Fletcher) ou Peter Astor (Weather Prophets, The Loft)  y fréquentent la jeune garde Let's Wrestle, The Proper Ornaments, September Girls ou Joanna Gruesome.

La structure fonctionnait souvent en binôme avec un autre de nos labels fétiches: Slumberland. Ainsi en plus de certains des groupes susmentionnés, les deux figures unirent leur force pour nombre d'excellents disques: The Pains Of Being Pure at Heart, Crystal Stilts, Allo Darlin'... Cette association était loin d'être anodine, l'axe ainsi constitué proposait en effet une indie-pop ouverte, vivante et mouvante et surtout un catalogue régulièrement exceptionnel. Fortuna Pop! était ainsi un de nos labels indie-pop britanniques fétiches au coté d'Odd Box, Fire Records ou Soft Power.

Histoire de rendre un modeste hommage à Fortuna Pop! voici une sélection hautement subjective de quatre disques que j'ai adorés et m'ont particulièrement marqué sur le label anglais.

Let's Wrestle - Let's Wrestle (2014)
Let's Wrestle fut un jour un espoir de la pop britannique, leur premier album paru en 2009 leur permit de signer chez Merge en 2011 un excellent Nursing Home. Six ans plus tard, ce disque de pop slacker conserve toute sa fraîcheur mais ne prépare en rien à son successeur sorti en 2014: Let's Wrestle
Le groupe, après avoir connu des fastes, semblait quelque peu déclinant. Le disque est ainsi imprégné d'une mélancolie diffuse et de nostalgie. Wesley Patrick Gonzalez s'y révèlent être un fabuleux songwriter, saisissant avec justesse et délicatesse les tourments de son époque. Par la force des choses, le dernier album de Let's Wreste fut aussi mon favori en 2014.


The Pains Of Being Pure At Heart - The Pains of Being Pure At Heart (2008)
Huit ans plus tard, le premier album des Pains Of Being Pure at Heart est certainement déjà culte. À la fois classique (dans ses influences et sa forme) et très frais (l'innocence et l'enthousiasme qui émanent du groupe), l'album est un enchaînement de tubes qui n'ont pas pris une ride. Le succès du disque fut bien au delà des cercles indie-pop, il donna certainement un gros coup de fouet à Fortuna Pop! et Slumberland. Le groupe n'a, selon moi, jamais réussi à dépasser ce premier jet sur la longueur mais peu importe: ce disque est fantastique. 


The Proper Ornaments  - Wooden Head (2014)
Je crois que c'est un secret pour personne que nous adorons Proper Ornaments sur ce blog et ce, depuis bien longtemps. Ainsi leur seconde sortie figurait dans notre top singles de 2011. Honnêtement au moment de la parution de Waiting For the Summer (2013), j'eus l'impression que cette compilation était plus un bilan définitif qu'un inventaire en court. 
La suite m'a heureusement donné tord, l'année suivante Fortuna Pop! publiait en effet le premier (réel) album du groupe, l'excellent Wooden Head. Pas d'effet de surprise mais une confirmation du talent immense du duo formé par James Hoare (au départ bien sûr dans les géniaux et malheureusement séparés Veronica Falls) et Max Claps. Si aujourd'hui le projet semble moins populaire que l'autre formation de James (Ultimate Painting) malgré de nombreux points communs (le Velvet en filigrane) et quelques différences (moins garage, plus pop) elle n'en demeure pas moins tout aussi réjouissante et excitante. J'espère ainsi que le groupe donnera une suite (en LP, puisqu'en 45T c'est déjà le cas) à ce disque.



Joanna Gruesome - Weird Sister (2013)
Les deux disques de Joanna Gruesome sont excellents et je pense les aimer tout autant l'un que l'autre. Par certains aspects (réducteurs) les gallois pourraient être une version survitaminé et sous stéroïde de Veronica Falls. Là ou les anglais sont délicats et toujours de bon goût, Joanna Gruesome donne l'impression de volontairement essayer de briser certains codes de l'indie-pop et de redonner au genre un peu de son abrasion qui fait le charme de nombreuses formations des origines (par exemple les Pastels). Il y a donc dans la musique de Joanna Gruesome, une combinaison unique de mélodies indie-pop et de puissance sonique (impossible de nier une certaine influence presque hardcore ou post-hardcore chez eux!). Bref Joanna Gruesome est un groupe à bien des égards jouissifs par son manque de respect aux règles d'un genre qui a bien besoin qu'on le bouscule.