lundi 15 août 2016

Les Dogs (en français)

Les Dogs, au cours de leur longue et tumultueuse histoire, illustrent peut-être mieux qu'aucune autre formation la singularité d'être un groupe de rock français. Ainsi, sont-ils peut-être l'une des figures emblématiques d'une scène underground nationale dans les années 80.

Dans les années 80 la vague punk originelle (celle de76/77) appartient déjà au passé. Certes les crêtes et les perfectos sont toujours de sortie dans les puces de Camden mais ils font désormais plus parti d'un folklore que des forces vives de la musique. Le mainstream, après avoir été bousculé par ces morveux accoutrés bien étrangement, a absorbé la révolte et l'a recrachée dans une musique bien plus tolérable pour le grand public. Il en est de même pour le revival mod: les jeunes personnes élégantes et arrogantes ont grandi, les groupes se séparent presque tous, le dernier album des Jam paru en 1982 semble ainsi marqué la fin d'une époque soldée par la victoire de MTV. Les années 80 sont une décennie où le synthétiseur et les clips (les images) sont hégémoniques. Bien sûr ces outils peuvent produire des choses fantastiques mais ils n'en démodent pas moins instantanément le rock, bien souvent pour le pire. Celui-ci pour la première fois de sa courte existence n'est plus sous la lumière des projecteurs. Il s'en accommode et 1983 marque ainsi au niveau mondial, l'émergence d'un  underground qui prend diverses formes pendant la décennie: Paisley Underground (Rain Parade, Bangles, 3 O'Clock, Dream Syndicate), indie-pop (Pastels, Television Personalities...), garage revival (The Crawdaddys, The Miracle Workers...), College Rock (Replacements), Hardcore (Black Flag) etc. Deux figures tutélaires s'imposent aux États Unis et en Angleterre: REM et The Smiths. Ces deux groupes ont de nombreux points communs, enfants du punk ils n'en sont pas moins plus traditionalistes et revendiquent un héritage, notamment des années 60 (Byrds, Velvet...).


La France n'est pas à l'écart et bien que plus âgés, les Dogs sont peut-être l'équivalent français de ces formations. Les normands n'ont pas le même background ni le même son mais pourtant ils viennent aussi de cette culture sixties et s'imposent comme l'un des groupes de référence de l'époque. L'histoire des Dogs croisent ainsi de nombreuses autres: Olivensteins, Snipers, Calamités... Leur parcours raconte également en creux une décennie d'évolution du rock français de la fin des années 70 à la fin des années 80, du mirage du succès à leur retour à l'activisme. Une France rock underground qui vénère les Flamin' Groovies, les Cramps, les Real Kids, les groupes Pub Rock anglais ou de rock australien et les voient jouer dans de petites salles. La scène locale se développe fortement, elle est soutenue par des fanzines (Nineteen en tête) et quelques labels (New Rose, Closer). Tous sont amoureux des Nuggets, beaucoup admirent Alex Chilton, Stiv Bators ou Johnny Thunders.... 

Jusqu'au décès de leur leader, Dominique Laboubée, en 2002, les Dogs n'ont eu de cesse de jouer, soit presque trois décennies (le groupe s'était formé en 1973) ! L'essentiel de leur discographie se fait cependant sur une dizaine d'années s’étalant entre la fin des années 70 les années 80 durant lesquelles ils suivent de près l'évolution du rock. Les Dogs, après des débuts sur le label de Rouen Mélodies Massacre (du nom du magasin situé... dans la rue Massacre), sont repérés par Philips. Le label, comme tous les gros de la place, cherche son "groupe punk", ils signent les normands et leur font enregistrer deux albums Different (1978) et Walking Shadows (1980). Les ventes étant insuffisantes selon les pontes, le groupe est relâché dans la nature avant d'être signé chez Epic. Chez ces derniers les Dogs enregistrent Too Much Class (1982), Legendary Lovers (1983), Shout (1985) et More More More (1986) avant d'être à nouveau débarqués pour les mêmes raisons...Une histoire terriblement banale que beaucoup de groupes français connaissent encore aujourd'hui (Mustang en tête).


Les Dogs ont gagné leur statut de groupe culte français à la dure, ils n'ont jamais renoncé et ont toujours défendu une idée du rock pur et proche de ses racines. Si les disques ou les concerts ne sont pas toujours égaux et géniaux (les 4 premiers albums sont cependant des classiques), la pugnacité du groupe et sa volonté d'exister en font une sorte de figure ultime du rock, un rock humain et humble, porté par la foi et la passion dans l'électricité. Cette authenticité les Dogs la cultivaient aussi en chantant en anglais (assez approximatif), un choix délibéré de coller le plus possible à l'essence de cette musique y compris son idiome. Ainsi ce fut systématiquement les maisons de disque qui poussèrent les Dogs à s'essayer au français, le besoin d'avoir des singles diffusables en radio. À la fin des années 2000, le choix de l'anglais ne fut plus un frein pour obtenir un succès conséquent souvent pour le pire (par exemple les tièdes Pony Pony Run Run ou Cats on Trees), inversant même le rapport de force (le français devenant la position des outsiders), jusque là l'anglais était proscrit pour les petits français...

Les Dogs n'enregistrèrent, à ma connaissance, que 4 morceaux dans notre langue, deux pour chaque gros labels: Philips (1980) et Epic (1984). Pour pousser Walking Shadows la maison de disque incite les normands à enregistrer un simple promotionnel avec les morceaux Cette Ville est un Enfer et Trouble Fête. Epic en fait de même à l'époque de Legendary Lovers avec une version en français de Secrets et l'inédit Mon Coeur Bat Encore. Si le groupe rechignait à utiliser le français (la peur de perdre une partie de leur essence?) ces quatre chansons constituent pourtant parmi mes préférées du groupe et démontre le savoir faire de la formation y compris en français (pour le faire sonner naturellement et fluide).

Cette Ville Est Un Enfer (1980) est un de mes morceaux de rock français favoris, autour d'une ligne de basse menaçante, sinueuse et d'une mélodie économe de guitare, les Dogs se rapprochent de l'esprit et du son du post-punk, la chanson est ainsi sombre, la tonalité cafardeuse mais non sans quelques giclées de lumière. La face B Trouble Fête s'approche du punk, elle est  rentre-dedans et agressive, elle est aussi plus classique mais portée par un texte d'Eric Tandy. La diction se rapproche d'ailleurs de celle des Olivensteins ou des Rythmeurs. C'est un bon morceau mais probablement celui que j'aime le moins des 4.

 
Secrets (1984) est une version en français du morceau du même nom, extrait de l'album Legendary Lovers produit par Vic Maile, un ingénieur anglais expérimenté qui a notamment travaillé avec de nombreux groupes pub rock (Dr Feelgood, Eddie and the Hot Rods, Pirates, Inmates) mais aussi de punk (Vibrators, 999, Lurkers) et quelques autres formations cohérentes avec les genres susnommés (Motorhead et les Godfathers). Si le CV de l'intéressé laisse à présager du muscle et de la sueur, Secrets (version française) est pourtant une chanson délicate, son rythme nonchalant et légèrement sautillant évoque le galop d'un cheval et les grands espaces américains, le chant légèrement maniéré de Laboubée rend justice à l'excellent (et juste) texte français (écrit ou co-écrit par Tony Truand?). Secrets serait-il le trésor caché de l'indie-pop française? Certes le groupe n'est pas habituellement relié au genre mais quand on voit la parenté entre Vélomoteur (1987) des Calamités et Crash (1988) des Primitives, est-ce si idiot de voir en Secrets un autre exemple français ?

Mon Cœur Bat Encore est l'ultime tentative des Dogs de se frotter à notre langue et quelle réussite ! Un super morceau rythmé et enjoué que l'on a envie de reprendre à tue-tête en dansant frénétiquement. Il évoque  A Millions Miles Away des Plimsouls, Natasha des Roxette ou encore What I Like About You des Romantics, soit une certaine idée de la fête, de l'optimisme, de l'envie d'aller de l'avant... Peut-être le texte est-il en lien avec l'état d'esprit du groupe à l'époque? L'envie d'encore y croire.

Par la suite le groupe ne fit plus d'autres tentatives en français, il continua à creuser le même sillon inlassablement et ce, jusqu'à la fin, tels des missionnaires ne sachant rien faire d'autre. Le parcours des Dogs, en plus d'être exemplaire, n'est que trop symptomatique du rock en France, celui qui préfère Téléphone à Bijou, Trust à Edith Nylon etc. Ainsi le rock français en plus d'être tiraillé entre le besoin de se rapprocher de l'idiome et celui de s'en émanciper est-il confronté à l'absence totale de compréhension de la part des grandes maisons de disques et de la plupart des très grands médias (trop agressif, pas assez sérieux, trop adolescent, pas assez intelligent...). Quelle meilleure conclusion par conséquent que Mon Cœur Bat Encore ? Un message d'une folle actualité en 2016 en France quant au rock et à sa perception.


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