mercredi 30 mars 2016

Grupa 220: Beat en Adriatique

La Croatie est à ce jour le dernier pays à être entré dans l'Union Européenne en 2013, elle a été précédée neuf ans plus tôt par une autre nation de l'ex-Yougoslavie: la Slovénie. Ces deux pays sont ainsi les seuls représentants au sein de notre Union de l'ex-Yougoslavie, l'un des rares pays socialistes "non-aligné" (et n'ayant pas rejoint le Pacte de Varsovie suite à une rupture entre Tito et Staline). 

Dans les années 60, la Yougoslavie socialiste pratiquait les labels d'état comme les autres pays communistes avec peut-être un peu plus de souplesse dans l'approche. L'une des maisons de disques les plus connues du pays fut certainement Jugoton, ex-Elektroton, basé à Zagreb...actuelle capitale de la Croatie. Ce label est notamment connu pour avoir abrité le premier LP rock du pays: Nasi Dani de Grupa 220. La formation est issu de regroupement de deux combos dont les Jutarnje zvijezde (Étoile du Matin) de Drago Mlinarec qui devient alors le principal compositeur du groupe. Il ramène dans ses cartons, le premier succès de la nouvelle formation "Osmijeh" ("souris"). Paru en 1967 en EP ce morceau est une délicate composition folk-rock entre les Beatles et les Byrds, bien écrite au charme slave. Pourtant enregistré en décembre, l'Adriatique prend ainsi les airs doux et chauds de la Californie. Le reste de l'EP est également de bonne facture (en particulier "Uvijek Kad Ostanem Sam" qui ouvre la face B). Le groupe déclinera progressivement après la parution de leur premier album et surtout du démarrage deux ans plus tard (après le service militaire) de la carrière solo de Drago une figure semble-t-il très importante en Croatie. 

mardi 29 mars 2016

Le vinyle un objet de luxe ? Un autre angle.

Dimanche 27 Mars, les Inrocks publiaient un article dont le titre m'a particulièrement interpelé: Comment éviter que le vinyles devienne un objet de luxe?. La thématique m'est chère, j'ai en effet très peur que le vinyle change de statut, je regrette aussi l'augmentation des prix mais nous allons voir pas forcément les mêmes prix... Voici le lien pour le consulter. N'étant pas sur la même longueur d'onde que l'analyse proposée je me permets de livrer quelques remarques, un autre angle, qui je l'espère sauront vous intéresser et éventuellement élargir le débat sur une question loin d'être anecdotique, voir inquiétante. 

Résumons tout d'abord rapidement l'article: Discogs aurait un effet pervers sur la valeur des disques (entraînant une spéculation) dont l'impact se mesurerait jusqu'aux disquaires, il priverait des vrais passionnés de disques à cause de leur prix prohibitifs du à des vendeurs pour lesquels  il s’agit d’une activité professionnelle à part entière. Ceux-ci achètent des stocks en gros à des anciens DJs, clubs ou radios pour les revendre ensuite à des prix prohibitifs. La solution selon l'auteure serait donc de rééditer ces raretés pour permettre à un autre public d’accéder à cette musique. Si on ne le fait pas le vinyle est en train de devenir un support réservé aux plus fortunés. Si certaines choses ne me semblent pas fausses, elles ne me semblent pas non plus faire nécessairement le bon constat mais voyons donc ces citations !

Discogs [...] est en position de monopole. Certains revendent aussi des vinyles sur Ebay ou Amazon, mais la plateforme offre l’avantage d’être à la fois la place du marché et le “wiki” du disque : c’est une base de données incroyable.
Il est évident que Discogs a été une véritable révolution en créant l'une des plus géniales bases de données sur le disque (et une source géniale pour digger mais j'y reviendrai un autre jour !). Si cela est particulièrement intelligent de leur part d'y avoir associé la vente, c'est au départ une demande qui émanait des utilisateurs. Je ne crois pas que Discogs soit en position de monopole sur la vente de disques en ligne, la plupart des acheteurs multiplient les sources: priceminister, eBay, Le Bon Coin, les groupes de ventes sur facebook etc. Internet permet de mettre très facilement en concurrence les vendeurs !

S’il est impossible de connaître les chiffres, on peut supposer que la majorité se compose de collectionneurs qui écoulent leur propre stock pour financer de nouveaux achats. Mais pour d’autres, il s’agit d’une activité professionnelle à part entière. Ceux-ci achètent des stocks en gros à des anciens DJs, clubs ou radios pour les revendre ensuite à des prix prohibitifs.
Si les prix sont prohibitifs et non réalistes par rapport au marché, ils ne vendront pas leur disques.  Pour que les prix augmentent il faut qu'il y ait un vendeur mais aussi... un acheteur. Après il est envisageable d'argumenter que les deux acteurs (vendeur/acheteur) sont des spéculateurs, mais là il y aurait clairement un risque de bulle économique sur les disques en question.

Une spéculation qui fait également monter les prix en magasin, les disquaires s’alignant sur les prix affichés sur le site. Le vendeur d’un grand records shop berlinois, qui a préféré rester anonyme, nous dénonce ces pratiques avant de soupirer : “Mais dans le même temps, cette hausse est impossible à juguler. Car qu’est-ce qui garantit à un vendeur militant, tentant de proposer un tarif sympa de magasin, que le client ne sautera pas sur l’occasion pour le revendre plus cher sur la plateforme ?“. Discogs a instauré une cote dans le domaine du marché du vinyle d’occasion.
Discogs ne génère pas la spéculation: le site offre une photographie de ce que les gens sont prêts à dépenser pour un disque. Ce prix est fixé selon les lois de l'offre et la demande, il dépend par conséquent de la rareté et de la désirabilité d'un disque. La spéculation est faite par les vendeurs, cependant si ceux-ci ne vendent pas à un prix réaliste ils garderont leur disque sur les bras, ils ont donc intérêt à aligner les prix sur la valeur réelle (sauf s'ils sont sûr que cela vaut plus). Cela peut même avoir un effet positif: si plus de gens consultaient le site, peut-être qu'un certain nombre d'entre eux ne penseraient pas à mettre leur best-of bon marché des Stones à 20€ en brocante ! Accuser Discogs de générer de la spéculation est comme blâmer le porteur de mauvaises nouvelles: Discogs rend peut-être compte d'une spéculation mais n'en est pas à son origine (même si possiblement elle la facilite, bien que cela se discute aussi). Bien entendu, la fantastique accessibilité de cette base de données rompt une partie du charme de l'achat à l'aveugle en permettant une évaluation très rapide du prix. La bonne nouvelle étant que compte tenu de l'immensité de choix de disques, il est impossible pour un spéculateur de savoir tout repérer. 
La cote dans le marché du vinyle de l'occasion n'est pas non plus une nouveauté, de nombreux ouvrages existent sur le domaine depuis des décennies, par exemple Goldmine ou Jukebox proposent des cotes de disques qui faisaient souvent référence avant l'apparition d'eBay ou Discogs.  De fait dès qu'il y a eu un marché de la collection de disques, il y a eu des gens pour tenter de fixer la valeur intrinsèque des raretés.
Enfin un disquaire n'a aucun intérêt à aligner ses prix systématiquement sur discogs, s'il le fait il se privera de la clientèle fréquente qui généralement constitue une part essentielle de son chiffre d'affaire. C'est à mon sens impossible dans une ville comme Paris par exemple.

Problème : ces échanges financiers ne profitent pas aux artistes. [...] Quand les musiciens sont encore en vie, ils constatent que des particuliers vendent leurs vinyles à prix forts sur la plateforme sans qu’ils ne touchent un centime sur ces transactions.
Est-ce véritablement un problème? Dans le marché de l'art (peinture, photographie) ce sont les mêmes règles et la situation est encore plus désavantageuse pour l'artiste car il s'agit souvent d'objet unique et non de reproductibles. Dans les deux cas les artistes touchent des droits d'auteur en cas de reproduction.
Dans le cadre du vinyle: un prix élevé pour un disque est signe qu'il est recherché et désiré, une motivation pour un label à rééditer le disque et donc finalement permettre à ses auteurs de toucher à nouveau quelque chose. Allons plus loin: les collectionneurs qui font augmenter les prix des disques sont aussi ceux qui souvent participent à faire (re)découvrir des artistes et contribuer à leur donner une légitimité que l'époque ne leur avait pas donné.

Contrecoup retors de la tendance, tout ce qui est sorti depuis 30 ou 40 ans subit une demande plus forte que ce qui est disponible en seconde main. Du coup, les prix explosent.
Je n'ai pas le sentiment que le prix des disques des années 70-80 ait explosé ces dernières années en général. Mais par contre oui, il y a eu des genres (la Minimal Wave, le Boogie français ou l'Italo Disco par exemple) dans lesquels les prix ont augmenté. Dans tous les cas, Discogs n'est pas le principal responsable: ces augmentations sont avant tout du à la redécouverte et à l'intérêt pour une période et un son donné. Un subtile mélange entre collectionneurs ayant une influence, groupes se revendiquant de ces formations et labels rééditant des disques ou des compilations thématiques... 
Au doigt mouillé j'aurais tendance à dire qu'après la redécouverte d'un genre et certains effets de mode (pour les disques récents qui peuvent connaître d'incroyables variations) les prix ont souvent tendance à se stabiliser (en dehors d'un éventuel effet inflation).   

La première sortie pressée à très peu d’exemplaires [...] a atteint cette année le prix de 345€. Au regret des vrais passionnés.
Je suis un peu embêté par cette formulation. En quoi quelqu'un qui paierai un disque 345€ ne serait pas un vrai passionné ? Que sait-on de lui au juste ? Va-t-il le garder dans un coffre fort pour tenter de le revendre dans quelques années le double ? peut-être bien ! Mais cela pourrait être aussi un fan inconditionnel du producteur qui cherche à se rapprocher le plus possible de son idole en ayant l'ensemble de ses disques... Bref en quoi peut-on juger des motivations de quelqu'un ? Le marché des disques rares a certes, ses acheteurs spéculateurs ou des gens très riches qui mettent n'importe quel prix dans un disque, mais je ne crois pas que ce soit le profil le plus courant: la plupart gagne correctement leur vie mais sacrifie une partie de leur loisir pour se consacrer à cette dévorante passion qu'est le disque. En quoi ces gens là seraient donc moins passionnés que des personnes qui ne sont pas capables de mettre autant soit par manque de moyen ou par choix ? À l'heure d'internet où la musique est facilement disponible, cet argument est d'autant moins valable puisque posséder l'objet n'est plus une nécessité pour l'écouter.
À noter que l'exemple donné est recherché depuis pas mal d'années: il est déjà parti à 999$ sur eBay en 2006.

Mais presser à nouveau permet à un autre public d’accéder à cette musique.
Oui ! Bien sûr, la réédition de raretés chères est une excellente chose très positive pour la diffusion et la démocratisation de la musique. Après si nous observons le marché de la réédition dans son ensemble et pas que du point de vue des labels indépendants spés, nous pouvons aussi constater aussi une absence de logique dans certains choix de disques à rééditer. Une annonce de sortie du RSD m'a particulièrement fait sourire (ou agacé selon l'heure du jour ou de la nuit): Kung Fu Fighting de Carl Douglas. Je ne sais pas à combien sera le 7 pouces le D(isquaire) Day mais quand on sait qu'il est possible de ramasser ce disque en broc' pour 50 centimes sans même le chercher, il y a de quoi se poser des questions.Ce vinyle n'est malheureusement pas un épiphénomène, les bacs sont remplis de ces classiques trouvables dans un disquaire d'occasion pour 10€ et moins. Le commerce a ses raisons que la rationalité ignore: un non-sens écologique et d'avantage de disques sur les presses  en lieu et place de vinyles qui eux auraient une certaine signification tels que des disques rares/inédits à rééditer ou des nouveautés.

Car le vinyle est en train de devenir un support réservé aux plus fortunés. 
Ce constat est une évidence pour moi, cependant je pense que l'auteure se trompe de combat. Le marché de l'occasion est régit selon des règles qui évoluent assez peu: offre et demande, rareté, désirabilité... Seul les goûts des collectionneurs évoluent, les prix se fixent en fonction. Ce marché n'est pas entrain d'induire un support réservé aux plus fortunés pas plus qu'avant ou après en tout cas. Tout au plus, certains disques qui n'étaient pas recherchés et donc accessible aux communs des mortels deviennent des raretés prisées. Cependant les pièces désirables resteront chères et la majorité des disques se trouvera toujours pour quelques euros dans des bacs aux puces ou chez un disquaire.  L'essence du problème vient de l'augmentation dramatique des disques neufs depuis quelques années, les causes sont multiples mais les disquaires n'en sont pas responsables, ils ne peuvent constater que les dégâts d'actions prises en amont. Cette augmentation est multifactorielle: augmentation des coûts de pressage du fait du succès du vinyle (pour tout le monde), nombre de copies à la baisse (pas par choix en général mais faute de demande pour les nouveautés), rééditions avec des options luxueuses à destination d'un public mature (gatefold, 180gr etc.), prix wholesale en augmentation pour amortir les frais marketing, explosion des frais de port aux USA etc. Ce cocktail aboutit à une situation dramatique, les prix que je constate ont évolué de 4 à 5€ supplémentaires pour un LP en quelques années. Ainsi aujourd'hui le prix moyen se situe plus à 20-23 euros quand il était à 15-18 euros il y a peu encore. Même combat pour les 45 Tours qui frôlent les 9-10€ aujourd'hui. Les labels français indépendants, heureusement, conservent des prix souvent honnêtes (5-6€ le 45 Tours, 12 à 17€ le 33 tours). De fait, les disques neufs sont de plus en plus souvent en concurrence avec la seconde main, en effet je me pose de plus en plus la question d'acheter des nouveautés quand ceux d'occasion n'ont pas augmenté: pourquoi acheter une nouveauté à 23€ qui ne me plaira peut-être plus dans deux ans quand je pourrais avoir un original d'un disque que j'adore et assez rare à 25€ dont le prix ne devrait pas décroître ?

lundi 28 mars 2016

Henri Salvador: des disques rigolo jusqu'à la dystopie

Henri Salvador connût un retour inespéré au début des années 2000 avec l'album Chambre avec Vue (2000), il fit cependant l'essentiel de sa carrière des années 50 à 70: une discographie particulièrement riche !

Si l'intéressé est surtout connu pour ses chansons drôles - son label ne s'appelle pas Disques Rigolo au hasard - il y a de nombreux titres intéressants musicalement y compris d'ailleurs dans les légers. J'ai récemment eu l'occasion de trouver un de ces 45 Tours les plus intéressants lors d'un "records swap" dans un excellent bar parisien (Le Rochelle), ce disque était depuis un certain temps sur ma liste pour un titre absolument fantastique: "Bêta Gamma l'Ordinateur", une folie de 1968 écrite par Salvador et Bernard Michel (un poète collaborateur de longue date du chanteur).

Les intéressés décrivent l'homme de l'an 2000 sur une musique latine psychédélique sous hélium. C'est aussi dingue qu'unique, les textes évoquent une dystopie toujours très à propos en 2016. Bêta Gamma brosse un monde entre Soleil Vert (les pilules remplacent les aliments) et Un Bonheur Insoutenable (l'amour n'y a plus d'importance, un ordinateur gère nos destinées)... Plutôt flippant mais loin d'être hors sujet à l'heure de la voiture sans chauffeur et un tas d'autres trucs qui font parti de notre quotidien (ou presque!). Consolons nous en dansant sur cet incroyable morceau, nous en avons heureusement encore la possibilité !

samedi 26 mars 2016

Too Much: Too Soon?

Sans être si courant que ça, voici une curiosité pas bien chère (deux-trois euros) et très cool. Too Much est un éphémère projet punk belge autour de deux chanteuses (dont les noms ne sont pas inscrits sur la pochette) et auteur de cet unique 45 Tours en 1978.

"Silex Pistols" en face A joue à fond la carte du texte punk bien crétin (dans le bon sens), le saxophone amène une touche glam amusante mais pourra rebuter certain. La face B "Photo Photo" a ainsi ma préférence, du punk d'exploitation à mi-chemin entre Soda Fraise et... Plastic Bertrand. Cette dernière comparaison ne doit rien au hasard car si Lou (Deprijck) - le chanteur réel de "ça plane pour moi" (et bien sûr de "jet boy jet girl" d'Elton Motello sorti en réalité avant la version française) - ne semble pas de la partie, son collègue Yves Lacomblez écrit les deux morceaux de cet unique 45T. Produit par Sylvain Vanholme de Wallace Collection ("Daydream" etc.) voici un 7 pouces plutôt chouette et amusant qui ravira les amateurs de plastic punk accrocheur et fun !


jeudi 24 mars 2016

Maciej Kossowski: ne pas se fier aux apparences...

Avant de partir à la chasse aux disques, je fis une rapide recherche sur discogs afin d'identifier quelques disques à particulièrement surveiller. "Ocz ci zaslonie" se révéla un de ceux qui me plut le plus, ainsi  ce fut un ravissement de tomber dessus dans le dernier disquaire à un prix décent (en dessous de la cote de discogs qui nous allons le voir est justifiée !).

Maciej Kossowski, l'auteur de ce 45 tours à la pochette relativement anodine (sans grand rapport avec la musique qui s'y trouve) démarra sa carrière musical comme trompettiste de la formation Beat Czerwono-Czarni dans leurs premières années. Il quitta le groupe en 1966 et publia quelques 45 tours dont celui ci en 1969.

Ce disque est excellents de bout en bout. Les deux balades sont d'excellentes factures avec une préférence pour la seconde "Nie Mowie Zegnaj" et sa guitare fuzz. Slow rugueux et bluesy, l'orgue criard est un délice pour les oreilles. Les deux autres morceaux sont aussi les meilleurs: "Oczy Ci Zaslonie" et "Domowe Strachy". Qui eut cru que le chemin de Gdansk à Memphis fut aussi court ? Rythmique funk, cuivres rutilants, solo de flute ultra groovy "Oczy Ci Zaslonie" est une pépite pour les dancefloors avides de curiosité. Sans être aussi bien branlé "Domowe Strachy" tire également sacrément bien son épingle du jeu, ça swingue du popotin sévère. Bon avouons que l'intéressé est peut-être un poil meilleur musicien/compositeur que chanteur mais quel très bon disque ! Pour la peine je mets les deux morceaux, en espérant que vous soyez aussi conquis que je le suis de cette belle trouvaille polonaise !



mardi 22 mars 2016

Les Musiciens: sur la route de Katmandou

Retour en France, quelques années plus tôt. Les Musiciens sont un groupe auteur de deux EPs 45 tours autour de 1968/1969. Il s'agit de variété sans grand relief à une exception près... Chaque sept pouce contient un très bon morceau écrit par Jean-Claude Decamp: Mururoa et Katmandou.  

Mururoa est un tourbillonnant instrumental groovy poussé par un orgue fiévreux et des cuivres chatoyants. Les chœurs féminins ont un charme daté qui plairont plus ou moins selon ses dispositions. De la bonne came, sans être non plus au zénith du genre (écouter le morceau sur youtube), je suis cependant assez client pour l'avoir pris. Katmandou sur l'autre 45T a ma préférence. Portée par une assise rythmique puissante à la merci d'une batterie compressée au son dément, une flute virevolte d'aise accompagnée de quelques accords de piano et d'une guitare psychédélique. Fumée d'encens, les corps se déhanchent lascivement, les esprits sont ailleurs, sur la route de Katmandou quand les âmes s'unissent à travers les regards... Un chouette 45T pour vos surboums à ne pas payer trop cher (autour de 10€ grand maximum selon moi).

dimanche 20 mars 2016

Czerwone Gitary: heavy-psych dans le rouge

Ce voyage à Varsovie a été une très belle occasion d'améliorer ma connaissance de la musique pop polonaise (beat, mod, psyché etc.). L'un des groupes que j'avais repéré était Czerwone Gitary (les Guitares Rouges). Originaire de Gdansk, il s'agit d'une des formations les plus populaires du pays, particulièrement active du milieu des années 60 jusqu'au début des 80s. Comme beaucoup de formations sixties, le groupe s'est reformé et tourne de nouveau. 

Les trois premiers albums du groupe sont de solides, voir bons - je ne les ai pas encore assez écoutés pour me prononcer définitivement - albums de beat virant progressivement vers la pop psychédélique. De la bonne came dans l'ensemble. Je connais moins leurs albums des années 70 (mais promis je vais me rencarder) néanmoins ce single semble tenir une place particulière et unique dans la discographie du groupe. Enregistré en formation trio autour de Bernard Dornowski (ex Nibiesko-Czarni et fondateur des Guitares Rouges), Jerzy Skrzypczyk et Seweryn Krajewski , la formation donne un heavy-psych de haute volée sur le morceau qui occupe l'intégralité de la face A "Pejzaz Miasta". La chanson est ainsi une envolée psychédélique musclée évoquant un cousin de l'excellente "all in your mind" d'un autre trio, anglais cette fois-ci: Stray. Wah Wah et fuzz, groupe soudé maîtrisant son sujet à la perfection, les Czerwone Gitary effectuent un véritable récital en technicolor de rock dynamique dont le jeu explosif suggère Hendrix ou Cream. La voix mixée plutôt en avant, loin de desservir l'ensemble amène une touche de mystère et de lyrisme bienvenue. De mémoire, la face B de l'EP n'est pas incroyable et comprend notamment une de ses balades nunuches dont on peut s'épargner l'écoute quand on ne comprend pas les paroles et le contexte. De toute façon avec une face A de cette tenue, les intéressés n'avaient plus besoin de prouver quoi que ce soit derrière le fantastique "Pejzaz Miasta".

vendredi 18 mars 2016

Disquaires à Varsovie

Varsovie est une ville à bien des égards étrange, il ne semble pas y avoir de logique en matière d'architecture voir d'urbanisme. Ainsi de petites rues étroites succèdent à d'énormes rond points. Les églises jouxtent des bâtiments hérités de l'ère communiste. L'ensemble est hétéroclite voir carrément bordélique mais a un certain charme. On me l'avait vendu comme étant un peu tristounette, j'ai passé 4 excellentes journées et j'y ai vu beaucoup de chouettes choses... dont les disquaires !

Je ne savais pas du coup à quoi m'attendre coté vinyles... J'avais des choses sur ma wantlist depuis bien longtemps (Polanie ayant été une vraie révélation pour moi sur l'intérêt que pouvait présenter la scène polonaise 60s) et j'ai cherché un peu en amont d'autres références à surveiller. La pêche fut fructueuse prévue comme imprévue, je suis revenu avec une bonne vingtaine de LPs et autant en 45T autant dire que j'ai un peu flippé de bousiller mes disques en les serrant autant dans la valise !

L'emplacement de la plupart des disquaires est étonnant, ils sont souvent dans des arrières cours, heureusement souvent indiquées depuis la rue. C'est assez typique de la ville je pense, j'y vois l'héritage d'un passé encore récent où les commerces n'étaient pas forcément la priorité du pays. Le plus drôle de tous étant certainement celui en photo, Hey Joe, une sorte de couloir que l'on voit depuis la rue (derrière la grille de droite il y a une vitre), seul une personne peut s'y déplacer en largeur ! Je me suis concentré sur ceux situés en centre ville, il me semble possible de pouvoir tous les faire à pieds.

L'offre en matière de seconde main (sur laquelle je me concentrerai ici puisque c'est celle qui intéressera en priorité les voyageurs) est intéressante et fournie, on trouve de nombreux disques pour des prix très bas (10-20 zlotys soit  2,5-5€ environ) mais aussi des raretés bien identifiées généralement au prix du marché (ça peut ainsi atteindre les 100-150 zlotys soit 25 à 35 euros environ) surtout si celle-ci sont en très bon état.  Petit plus non négligeable: la proximité des autres pays de l'Est permet de tomber sur des disques hongrois, tchèques ou d'ex-RDA. 

Je me suis pour ma part concentré sur la musique locale (et de l'Est) en matière rock 60s et 70s (beat, garage, r&b, psyché, folk-rock, prog, heavy) ainsi que ce qui peut toucher la soul et le R&B (blue eyed soul, jazz-soul etc.). En gros des choses que vous allez très certainement retrouver un jour ou l'autre sur ce blog ! La Pologne est particulièrement connue pour la qualité de musique jazz, aussi bien du trad que des choses expérimentales.Ce jazz influence en partie d'ailleurs la musique "beat" puisque certains groupes se révèlent être d'excellents musiciens faisant une place importante à d'impressionnantes batteries et des orgues fiévreux (Polanie en tête mais aussi les instrumentaux d'Alarm! de Niebiesko-Czarni). L'autre source d'inspiration du Bigbit (à noter que les voisins tchécoslovaques appelaient ça également Big Beat, un terme qui avait le mérite de ne pas faire référence aux Rock & Roll de l’ennemie nord-américain !) est certainement la musique folklorique locale, on trouve ainsi de nombreuses reprises d'airs traditionnels sur les 45 tours des groupes 60s. 

À noter qu'il existe une série de rééditions des années 80 de 25 classiques beat (Z Archiwum Polskiego Beatu Reedycje), elles se trouvent généralement entre 10 et 30 zlotys (sauf les rééditions des disques plus recherchés comme Grupa ABC ou Breakout pour lesquelles les collectionneurs se "rabattent" sur ces éditions faute de pouvoir toucher des originaux) soit de entre 3 et 8€, une bonne façon de démarrer une collection de classiques du pays sans dépenser des sommes folles. Autre élément curieux: certains 45T ont des couvertures et d'autres pas (avec des pochettes génériques plus ou moins jolies) sans que je sache forcément la logique ! Ils s'agit généralement de 4 titres comme en France à la même époque (et à l'inverse des pays anglo-saxons). Autre détail à savoir: les prix sont généralement indiqués au crayon papier à l'intérieur de la pochette (à l'intérieur du dos).

Après cette longue introduction, voici les disquaires que j'ai préférés avec un descriptif pour chacun d'entre eux, ils sont tous généralistes et proposent aussi bien de la musique pop que du jazz.

Vinyl Tamka (Chmielna 20)
Les prix y étaient assez bon marché (un des moins chers que nous ayons visités), des bacs à 10/20 zlotys assez intéressants, pas mal d'originaux et surtout un choix de 45 tours (plutôt rare) ! Le propriétaire ne comprend pas l'anglais mais est disponible et sympa, j'ai ainsi pu écouter un paquet de disques et il m'a fait une remise à la sortie sans que je lui demande quoi que ce soit ! Bref un fort sympathique disquaire par lequel je pense que je commencerais si c'était à refaire.

Muzant (Warecka 4/6)
Second disquaire particulièrement bon marché, Muzant est encore plus fourni que Vinyl Tamka ! Le vendeur ne parlait pas anglais, était un peu bourru mais plutôt sympathique au final, on a pu ainsi écouter tranquillement des dizaines de disques sans le troubler. Le lieu est également assez cool: un sous-sol, on passe par une entrée avec un mur de radios des années 50. Un autre lieu à recommander si vous cherchez le choix et des prix sympathiques. Il y avait quelques 45t à 10 zlotys mais globalement rien de bien polonais (cela ne m'a pas empêché de choper quelques disques de soul).

Art Reco (Nowy Swiat 48)
Un disquaire sur lequel nous sommes tombés par hasard et qui s'est avéré plutôt chouette. Il semble assez récent (il y avait encore pas mal de disques empaquetés) mais le choix était pas mal. Plutôt orienté jazz, musique classique et classic rock, il y avait néanmoins de quoi satisfaire mes pulsions locales et j'y ai trouvé 7 lps pour la somme de 50 euros dont un original de Niemen sur ma liste (son classique "Enigmatic"). Le vendeur était sympa et parlait anglais, pas de 45 tours.

Hey Joe (Zlota 8)
Je finis cette liste par ce qui constitue probablement mon adresse favorite d'entre toutes même si pas la plus bon marché. Le vendeur parle un excellent anglais et est un crème. Sa connaissance de la musique polonaise est hallucinante et surtout il a parfaitement compris ce que je cherchais m'orientant vers d'excellents choix. La sélection était mortelle, autant dire que j'aurais pu y passer encore des heures et y dépenser jusqu'au dernier sou ! J'y ai trouvé autant du 45 tours (de belles choses) que des 33 tours, principalement du polonais mais aussi des groupes hongrois et tchèques dont une réédition du premier album des Matadors (avec le fameux "get down of the tree" compilé sur la Nuggets long box 2). Le disquaire est minuscule et pas du tout pratique (c'est littéralement un couloir dans lequel une seule personne peut passer en largeur) mais super adresse pour connaisseurs ! 

Cette session disquaires fut donc particulièrement fructueuse et je repars donc avec de nombreux excellents disques à écouter et apprécier ! Si je devais résumer, pour le bon marché: Vinyl Tamka et Muzant, pour le 45T : Vinyl Tamka et Hey Joe.  Les 4 adresses sont cependant excellentes si vous cherchez des vinyles de seconde main locaux.  Je vous laisse en bonne compagnie de Grupa ABC (dont j'ai acheté l'un des 45t ainsi qu'une réédition de leur unique album), un groupe de soul/funk formé par le batteur de Polanie dans la lignée de Blood Sweat and Tears ou Ten Wheel Drive en dix fois plus groovy (et certainement mieux).

mercredi 16 mars 2016

Kazino: ils ont fait sauter la banque

Kazino, duo belge (Nicolas Finn et Pierre-Henri Steyt), fut l'une des météorites de l'année 1985, un véritable one hit wonder dans la tradition du genre (disques d'or dans de nombreux pays dont la France) ! "Around my dream", le morceau en question, est pourtant une reprise, l'original interprété par Silver Pozolli obtenant bien moins de succès... J'ai d'ailleurs une petite préférence pour la version transalpine, plus italo-disco et certainement d'avantage subtile, cependant Kazino s'en sort pas trop mal et le clip est vraiment très drôle ! Pendant que le chanteur lance des regards insistants à des mannequins son collègue bassiste se trémousse avec une Hofner "Violin Bass", une vidéo typique de son époque: légèrement amateur mais fun, naïve dans le bon sens du terme, avec cette légèreté propre à la décennie (et très agréable en 2016). 

La véritable bombe du 45 tours se trouve sur l'autre face écrite par le groupe, je remercie SICR de me l'avoir fait découvrir. "Binary" est un morceau post-punk dansant et menaçant. Une rythmique de boite à rythmes traînante affronte une ligne de basse obsédante. La voix froide et distante complète les notes de synthétiseurs éparses dessinant d'inquiétantes ombres. L'ensemble se danse dans le noir les yeux hagards, les mouvements lascifs.

lundi 14 mars 2016

Laurent Voulzy : Liverpool-sur-Marne

Pour des générations de français, la Rickenbacker sera à jamais la guitare de Dorothée ! Quand nos amis anglo-saxons associent cette divine guitare à la powerpop (ou aux Byrds, Beatles...), nous autres de l'hexagone nous remémorons un Bercy bourré à craquer d'enfants survoltés et les facéties de Corbier, Jacky...Un autre français pourtant portait le cher instrument en bandoulière comme l'étendard de sa passion Pop, un certain Laurent Voulzy, martiniquais d'origine mais très vite installé dans ce cher Val-de-Marne de Nogent à Joinville-le-Pont (la ville des Naast sisi, d'ailleurs Gustave avait aussi une Rick'). Ainsi la belle "ricaine" (alerte jeu de mot!)  apparaît dans ses bras sur la pochette de son plus grand tube "Rockcollection" en 1977 et l'année suivante sur l'excellent single dont je souhaitais aujourd'hui vous parler "Bubble Star".  

Voulzy démarra sa carrière une décennie plus tôt en rejoignant le groupe de Mark Robson: Le Poing. Je ne pense qu'il ait participé aux 45T et unique LP du groupe en revanche. Sa première trace discographique il la dû au Musical College pour lequel il écrivit "elle pleure", une chanson loin d'être mémorable (enfin si vous y tenez: un lien youtube)...En 1970, Lucien (son vrai prénom) participa au groupe Le Temple de Vénus et signa les deux morceaux de leur unique 45 Tours. La face A "Plaisir Solitaire" (youtube) est un produit typique de son époque, texte coquin un brin gaulois et pop hippy-patchouli de rigueur, pas si éloigné de Santa-Maria... C'est quand même franchement pas mal et plutôt bien gaulé (pardon). Après quelques 45T en solo, il rencontre son alter-égo Alain Souchon en 1973, le début d'une longue et fructueuse collaboration pour les deux chanteurs. Dans les grandes lignes (la réalité étant plus subtile): Souchon écrit les textes et Voulzy les mélodies. Le succès pour Souchon fut presque immédiat ("J'ai dix ans" en 1974)  tandis que Voulzy du attendre "Rockcollection" en 1977 pour percer et se faire une place au soleil dans le monde concurrentiel de la variété française. Sans être un inconditionnel (bien que Souchon fasse partie de mon enfance grâce à ma mère), le duo représente pour moi une certaine idée de la pop en France: qualitative, populaire sans être pompière. "Bubble Star" en est une parfaite illustration: c'est une excellente chanson pop démontrant le savoir faire de Voulzy autant que son amour inconditionnel pour la Pop, celle avec une majuscule, idéalement un B comme Beatles ou Beach Boys. Guitares jangly jolies comme des cœurs, arrangements de voix soignée, pont mortel... Un travail d'orfèvre d'une grande élégance beaucoup plus proche de Shoes que de Michel Sardou: vive le MarneBeat !

samedi 12 mars 2016

Le Cœur: Pop en France

Le Cœur fut une formation toulousaine auteure de deux excellents 45 tours à la fin des années 60. Comme beaucoup de groupes de cette période, ses membres se rencontrèrent au lycée, jouèrent quelques concerts et montèrent à Paris. Ils se firent ainsi repérés par Barclay qui édita au cours de l'année 1969 deux simples. Ces derniers n'obtenant pas de succès, malgré d'évidentes qualités, le groupe finit par se séparer. Pourtant, deux de ses musiciens continuèrent dans la musique. Le plus célèbre d'entre eux est sans conteste Pierre Groscola, il obtînt un certain succès en solo et participa à de nombreux disques de variété dont "Hamlet" une collaboration avec Johnny Hallyday (voir la biographie de l'intéressé). Son camarade François Porterie fut peut-être plus discret mais participa à de nombreux tubes de variétés. Il nous intéresse peut-être plus pour sa participation au groupe rock progressif Moebius Bottle (dont il a en tout cas co-écrit certains morceaux) et pour la création du studio Condorcet de Toulouse, que l'on peut apercevoir en toile de fond du vidéoclip de "TVCQJVD" d'Aquaserge (lien youtube), seras-tu assez attentif pour reconnaître celui qui donne le top départ ? Si ce studio haut-lieu d'une certaine variété peu fréquentable dans les années 80 il fut aussi par exemple l'endroit où fut enregistré l'excellent premier album d'Ophiucus, un disque d'obédience acid folk (la sublime "Univers") mais avec quelques occasionnels jams électriques bien corsés !   

Revenons-en à Le Cœur, nos Toulousains. Leur morceau le plus connu (et le plus compilé) est certainement "Bye Bye City", une super chanson pop extraite de leur premier 45 Tours (lien youtube). Les DJs anglais ayant pris en passion ce titre, il vous sera aujourd'hui bien difficile de le payer un prix décent (son prix se chiffre dans la centaine d'euros)... L'autre 45 Tours "Rêve" (compilé sur une Fading Yellow) et sa face A "Un Soleil Assis Dans La Neige" est beaucoup moins recherché (on parle d'une vingtaine d'euros, très décent pour un disque français de cette époque - c'est moins que les EPs de covers de Ronnie Bird !), pourtant il est superbe et osons-le meilleur... "Bye Bye City" est certes un peu plus dansant mais "Un Soleil Assis Dans La Neige" est une magnifique chanson pop absolument parfaite à tous les niveaux: composition, arrangements vocaux, choix des instruments... C'est une orgie de douze cordes, d'harmonies vocales, de la pop de très grande qualité inspiré par les Beatles et comme on a rarement eu l'occasion d'en entendre en France. Dans mes souvenirs la face B est pas mal aussi sans être aussi classe que la A. Je suis d'ailleurs toujours preneur de pop francophone des années 60 aussi recherchée et aboutie !


jeudi 10 mars 2016

Rotomagus: de la popsike au proto-punk

On reste à Rouen en ce 10 mars.... En 1971 les normands de Rotomagus (Rouen en latin) éditèrent l'un des disques les plus violents de son époque en France, le simple "Fightin' Cock" sur le label Butterfly. Voyons leurs parcours.

En activité depuis 1967 (avec un certain Philippe Lhommet futur Dynastie Crisis dans les premiers line-up !), le groupe édite trois singles entre 1969 et 1971. Au départ sextet avec trois chanteurs le son de la formation est initialement axée sur le travail des voix. Ainsi le premier 45 tours en 1969 évolue dans la pop psychédélique candide et innocente assez typique de l'époque quoi qu'ici peut-être un peu tardive (et encore). Le simple est plutôt chouette et tient bien la route avec une préférence pour la face B et son superbe travail d'arrangement vocal. "Nevada" (youtube) pourrait ainsi évoquer des formations sunshine pop américaine comme The Association et des groupes français contemporains comme Le Système Crapoutchick. Un an plus tard le groupe revient avec l'incroyable 45 Tours "Eros" (youtube) et "Madame Wanda" (youtube), les normands brillent toujours par la qualité de leur travail harmonique sur les voix (une fois de plus en français) mais y ajoutent une certaine folie qui pouvait manquer à leur premier simple. Cette collision entre rock progressif, heavy-rock, psychédélisme et sunshine pop ambitieuse fait des étincelles bien qu'elle soit toujours sur le point de se fracasser et rompre le précaire équilibre créé par un groupe dépassant ses influences. Ce deux titres est véritablement unique et passionnant tant il ne ressemble à pas grand chose connu avant, pendant ou même depuis. En 1971, une  formation resserrée autour du trio des frères Peresse et du batteur Jacky Billaux publient un dernier simple sur le label indépendant Butterfly (chez qui on trouver Cockpit avec un certain FR David !). Si la face B, sympathique, ne suggère pas de commentaire particulier la A "Fightin Cock" est un brûlot d'une violence inédite pour l'époque. Le groupe a abandonné le français et les harmonies, il envoie trois minutes de hard rock proto-punk chauffé à blanc dans un anglais approximatif mais terriblement agressif et hargneux pour l'époque ! Autant dire que ce disque fait passer ceux des collègues de l'époque pour de la gentille came de hippies bien loin de la sauvagerie de ce cri du cœur passionné et déchaîné d'un groupe qui semble avoir besoin de se prouver des choses. À noter qu'il existe d'autres morceaux issu de cette session et ils ont été publiés par Martyrs of Pop il y a 5 ans sous le nom "The Sky Turns Red:  Complete Anthology" (discogs) avec l'ensemble des singles du groupe.


mardi 8 mars 2016

Les Rythmeurs: Plaire Plaire ?

Il y a une quinzaine de jours sortait la compilation "Rouen, l'explosion Rock 1980-1990" (lien discogs) sur le récemment (2014) réactivé Smap Records, label qui avait édité au début des années 80 les (éphémères) Nouveaux Riches ou encore l'excellent 45T mod revival des Tweed "Fashion" que je vous recommande chaudement. Dans le reportage des Enfants du Rock de 1984, Dominique Laboubée a une très belle image pour décrire la scène qui électrise alors la ville "un peu de poussières d'étoiles"... Celle-ci est certainement tombé sur le disquaire Mélodies Massacre de Lionel Hermani dans lequel Dominique mais aussi les frères Tandy (avec en particulier un certain Gilles inconditionnel des Byrds!) viennent taper la causette et acheter des disques. L'histoire n'aurait pu n'en rester là et pourtant en 1977, un événement va changer la donne: les Dogs enregistrent leur premier 45 tours "Charlie was a good boy", il est publié par le disquaire, le premier d'une poignée de sorties séminales, en 1979 vient ainsi un second coup de grâce: l'unique 45T des Olivensteins, un des plus fantastiques disques du punk français (dans mon panthéon personnel au coté de Marie et les Garçons). Si les Olivensteins se séparèrent après 18 mois insensés, ils essaimèrent une poignée d'excellentes formations parmi lesquelles les Nouveaux Riches (avec Eric Tandy, parolier du groupe et Laboubée), les Gloires Locales (avec Antoine Masy-Perrier futur 6-cordiste des Dogs puis des Wampas ainsi que Gilles Tandy) ou encore les Rythmeurs. 

Les Rythmeurs ne laissèrent à la postérité qu'un mini album et une participation à une compilation ("Snapshots") aujourd'hui complété d'un huitième inédit sur "Rouen, l'explosion Rock". Ils se composaient de deux anciens Olivensteins (Gilles Tandy et le fabuleux guitariste Vincent Denis) ainsi que de Bruno Lefaivre à la batteur (futur Tupelo Soul) et Bruno Lecœur à la basse. "F.I.N.I" leur unique sortie individuelle est éditée en 1983 par le label mythique New Rose. Le format intermédiaire entre un EP et un LP évoque une autre sorti du label parisien faite un an plus tard par une autre formation de la compilation Snapshot(s): "À Bride Abattue" des géniales Calamités (chroniqué ici même). Le disque des Rouennais est un sans faute. Moins punk que les Olivensteins les Rythmeurs laissent les mélodies pop s'épanouir au grand jour sans négliger une certaine amertume et la hargne du punk. Le guitariste joue un récital de haut vol (classe, élégant et fin) quelque part entre les Byrds et pourquoi pas des formations new-yorkaises comme dBs ou Television, un parfait équilibre entre velléités mélodiques et un sens du phrasé moderne et anguleux. Le groupe, loin de copier les anglo-saxons en est très contemporain évoquant le Paisley Underground, les débuts de REM ou certaines formations anglaises C86 trois avant celles-ci (écouter "Un soupçon d'indifférence" pour se faire une idée) ! Si "Plaire Plaire" a mes préférence, de "Rêverie" (youtube) à "F.I.N.I" (youtube) les Rythmeurs s'imposent à travers ce disque comme un des meilleurs représentants du rock français des années 80, comme les Calamités on regrette qu'il n'y ait pas plus (en quantité) à se mettre sous la dent.

dimanche 6 mars 2016

Les Yardbirds: Shapes of things (to come)

L'histoire accorde-t-elle assez de crédits aux Yardbirds, l'une des plus fantastiques formations de la British Invasion ? La concurrence particulièrement rude en Grande Bretagne à l'époque (Who, Kinks, Beatles, Stones, Small Faces, Pretty Things, Hollies, Animals, Searchers...) n'empêchera pas les petits protégés de Gomeslky (récemment décédé dans un relatif anonymat et pourtant quelle figure incroyable!) de placer un paquet de singles dans les charts au milieu des années 60... Des tubes, d'autres groupes en ont  pas mal en même temps mais ceux des Yardbirds sont absolument fantastiques et souvent bien en avance sur les collègues. Entre 1965 et 1966 le groupe est à son zénith créatif, de "For You Love" à "Happening Ten Years time ago" (évoqué ici en 2007 !) les oiseaux publient leurs trois albums majeurs ("For Your Love" "Having a Rave Up" et "Roger The Engineer") et une demi-douzaine de singles parfaits et visionnaires. Le départ de Clapton (après le single "For Your Love") aurait pu précipiter le groupe à sa perte: monsieur veut jouer du Blues, la pop il en fera pourtant plus tard et de la très laide. Le groupe ainsi libéré de son encombrant guitariste puriste finit par dégoter Jeff Beck conseillé par un certain...Jimmy Page (qui intègre le groupe par la suite vers 1966, principalement à la basse même s'il existe un court line-up avec Beck et Page à la guitare !). Le guitariste, sa Fender Esquire (une Telecaster équipée un seul micro) et sa fuzzbox vont contribuer à dynamiter le son du groupe et le repousser au delà de ce que faisaient tous les autres groupes à l'époque.

"Shapes of Things" est l'un de ces singles de la période dorée des Yardbirds. Sorti en février 1966, c'est une composition originale et collective (Paul Samwell-Smith, Keith Relf et Jim McCarty) enregistré entre Chicago (aux studios Chess!) et Los Angeles. La chanson reprend de nombreux codes du groupe: elle alterne les rythmes avec des cassures franches comme les tubes de la formation écrits par Gouldman ("For Your Love" ou "Heart full of soul" ) et possède un passage "rave-up" la marque de fabrique des anglais d' "I a man" à "Train Kept a Rollin". La contribution la plus décisive au morceau ne valut pourtant pas à son auteur un place dans les crédits: un solo halluciné et hallucinant de monsieur Jeff Beck. Ces quelques secondes semblent être à elles seules la matrice du rock psychédélique à venir et font des Yardbirds une influence très légitime du genre. Usant du feedback et de la fuzz comme d'un instrument sur une gamme évoquant les ragas indiens, l'anglais tord le son de la guitare jusqu'à la rendre méconnaissable, toute droit sortie d'un rêve sous psychotropes. Quelle claque ce dût être à l'époque ! On dit que le solo influença Jimi Hendrix et Macca (pour celui de "Taxman"), cela ne serait pas étonnant... Si vous me demandez qui fut le meilleur des trois "grands" dans les Yardbirds, Jeff Beck fut définitivement le plus novateur et le plus imaginatif et donc de loin mon favoris. La chanson fut si emblématique pour Beck qu'il en fit une très bonne reprise sur son premier LP ("Truth") en 1968 avec Rod Stewart au chant dans un registre presque hard rock.


vendredi 4 mars 2016

Samuel Hobo: et si l'homme synthétique était un vagabond ?

La sortie prochaine du second volume de "The Time Machine" de Jean Michel Jarre sera encore une fois l'occasion de remettre un bien pénible débat sur la table: Jean-Michel Jarre est-il un véritable et authentique (AOC bien sûr) pionnier de la musique électronique ou une vaste fumisterie ? La chronique du précédent sur Le Monde illustre parfaitement la question. Si le journaliste prend position pour l'arnaque via une très subtile argumentation, je pense l'inverse. Certes on peut ne pas aimer les disques de Jean-Michel Jarre mais il est en effet bien difficile de lui nier sa place de pionnier de la musique électronique.

Dès le début des années 70 JMJ publie des disques expérimentaux (le single "cage" / "erosmachine" de 1971) ou de musique électronique dans la mouvance de l'époque (sa reprise de "popcorn") en parallèle de ses activités de parolier pour la variété. Après deux albums (une BO et un disque d'illustration sonore) il obtint une consécration publique avec en 1976 avec "Oxygène", certes deux ans après "Phaedra" de Tangerine Dream ou "Autobahn" de Kraftwerk  mais cinq ans avant Depeche Mode ou New Order ! Le disque fut un grand succès, tout comme son successeur "Equinoxe" en 1978, il fit entrer la musique électronique dans bien des ménages et de nombreux enfants en furent certainement imprégnés. Je ne goûte pas toujours le style mélodique de l'intéressé, un peu trop niais pour moi en général mais Jean-Michel Jarre a aussi enregistré des choses absolument incroyables tel ce single de Samuel Hobo de 1972. "Freedom" et "Synthetic Man" sont indescriptibles ! La musique de Jean-Michel Jarre évoque un croisement entre "Being Boiled" de Human League (sorti 6 ans plus tard) et Suicide tandis que Samuel Hobo remplit à merveille son rôle de vagabond en pleine divagation. J'imagine bien les morceaux enregistrés en quelques heures en direct avec un Samuel tournant à quelques verres, pendant que JMJ tourne les boutons de son monophonique jouant une ligne de basse primitive.  Totalement punk avant l'heure, ces deux chansons sont d'une rare étrangeté (oserions nous dire folie) et valent bien des honneurs à notre Jean-Mimi national légitime pionnier de la musique électronique !


mercredi 2 mars 2016

Timmy Thomas: ce 45 Tours étonnant que vous auriez tord d'ignorer

Un récent article des Inrocks (pas mal) m'a poussé à écrire le présent texte sur "Why can't we live together" de Timmy Thomas, en espérant qu'il vous amène un point de vue frais et intéressant sur ce classique de 1972 qui sert de base à "Hotline Bling" de Drake.

Entre 1971 et 1973, la collection Special Disc Jockey édita une soixantaine de 45 tours de soul et funk. Ces disques issus de prestigieux labels américains comme Stax (Booker T and the MGs, Isaac Hayes, Rufus Thomas) ou Polydor (James Brown, Lyn Collins) étaient certainement destinés aux surbooms des ados, ils tracent aujourd'hui une certaine vision de la musique rhythm & blues de cette période en France. J'apprécie particulièrement cette série pour les illustrations de ses pochettes ainsi que le layout/code couleur général: ces labels qui avaient des esthétiques différentes aux USA se retrouvaient ainsi à la merci de dessinateurs français tentant d'interpréter le contenue de chansons dont ils ne maitrisaient parfois pas la langue. Le résultat n'est probablement pas très fidèle à la vision des américains mais il donne aujourd'hui à voir un paquet d'illustrations géniales dont celle de l'excellent designer Jean-Claude Trambouze, auteur de plus de 150 pochettes dans sa carrière dont une quinzaine dans la collection en question. Parmi celles-ci vous avez peut-être croisé "Why can't we live together" de Timmy Thomas, un tube unique à bien des égards.

Unique car d'une simplicité étonnante: une boite à rythmes avec des rythmes programmés, un orgue type Hammond et Timmy Thomas chantant passionnément (de la soul forcément) par dessus: c'est absolument tout. On le comprend mieux en se plongeant dans l'histoire du morceau. Initialement l'enregistrement était une démo, le label opta pour la sortir sans la retoucher, il en résulta un son aussi étrange que spartiate qui contribua largement à créer cette atmosphère dénudée et spontanée. Il y eut dans le succès d'une chanson aussi dépouillée certainement un effet novelty (NDR: quand les gens adhèrent à un morceau pour des raisons extra-musicales comme: le coté amusant ou étrange), à cause de la production bien sûr mais aussi de cette encore très inhabituelle - pour l'époque - boite à rythmes qui commençait à apparaître depuis quelques années en accompagnement pour des orgues. S'il est difficile de dater précisément le premier usage de rythmiques programmées dans une chanson pop, deux exemples concourent comme étant les premiers marquants: "saved by the bell" par Robin Gibb (des Bee Gees, ils existaient déjà l'époque et publiaient des tubes pop orchestrés mignons comme "Massachusetts") et "the Minotaur" par Dick Hyman, un instrumental électronique très étonnant pour l'époque, considéré comme le premier tube avec un Moog. Dans la soul "Why can't live together" est probablement un des premiers tubes dans cette configuration, précédée d'un an du classique crados et psychotique de Sly and the Family Stone "There's a riot goin' on" (c'est particulièrement manifeste sur le génial "Family Affair").  Deux ans plus tards Shuggie Otis s'en empara également en créant le culte "Inspiration Information". Dans une logique de réécriture de l'histoire de la pop opérée par les labels de rééditions (une conspiration ô combien dangereuse) on attribua ainsi à cet excellent (et original) album la paternité d'une certaine idée de la modernité qui au fond se trouve déjà en substance dans l'esprit cramé de Sly ou l'innocence de Timmy Thomas deux-trois ans plus tôt...

"Why can't we live together" fut ainsi la première d'une série de chansons dans la même configuration pour Timmy Thomas, aucune autre ne fut cependant un hit aussi mémorable: elles n'arrivèrent certainement pas à recréer la magie du moment d'une prise directe quasi-improvisée sans pression. La face B "funky me" est ceci-dit excellente et constitue une écoute des plus intrigantes en 2016. Publié par Glades, un sous label de TK, les Floridiens firent deux ans plus tard un coup similaire avec le classique disco "Rock your baby" de George McRae, également une démo, également une boite à rythmes, l'histoire pouvait recommencer !