mardi 23 octobre 2012

Conjuguons la Pop #18: Nino Ferrer - Enregistrement Public (1966)

Le hasard fait bien les choses, en rangeant mon bureau pour retrouver un truc je suis retombé sur la réédition cd d' Enregistrement Public de Nino Ferrer, l'occasion était trop belle pour ne pas la saisir: Nino est dans notre dossier Conjuguons la pop!

Que dire sur Nino? Oui je l'appelle Nino même si je ne le connais pas, et que je n'ai même pas eu conscience de sa mort quand il s'est suicidé en 1998. Je l'ai découvert bien plus tardivement en fait, quand mon intérêt pour les 60s en France a été décuplé par diverses sources (la Nuggets 2, le livre Antiyéyé), et depuis il fait parti de mes chouchous de cette époque au coté de Dutronc ou Polnareff. Nino Ferrer s'est semble-t-il toute sa vie senti incompris, en tout cas artistiquement parlant. Quand il écrivait des chansons aux textes subtiles, parfois acides et souvent remplis de non-sens (il faut écouter les textes fabuleux de Madame Robert par exemple) le grand public l'a associé à des hits novelty comme Mirza ou le Téléfon , pas nécessairement représentatifs de son répertoire. La blague s'est reproduite diverses fois, y compris dans les 70s quand Métronomie fait un bide mais qu'un single extrait de l'album (la maison près de la fontaine) devient un énorme succès. La grande méprise autour de Nino Ferrer est de la prendre pour un chanteur de variété rigolo alors que ce mec avait un amour profond pour la musique et aurait aimé être pris un peu plus au sérieux (et à juste titre, certains textes très premier degrés peuvent être particulièrement touchants).

Avant son virage progressif et rock des années soixante-dix Nino Ferrer était un gros fan de soul américaine, sa musique dans les 60s transpire souvent du son Stax (en particulier Otis Redding et Booker T and the MGs), du Rhythm n blues de Ray Charles ou James Brown. Cette facette est largement représentée dans Enregistrement Public. L'erreur serait de considérer ce disque comme de la variété, non Nino fait de la blue eyed soul et avec un talent stellaire. La formation faire la part belle aux cuivres et à l'orgue hammond inspiré de Bernard Estardy "le Baron" bien groovy et jazzy, on est jamais loin de Jimmy Smith ou Georgie Fame. Si ce live est probablement un faux comme de nombreux enregistrements publics de l'époque (enregistré en studio avec des rajouts de bruits de foule pour donner l'impression du direct) les musiciens se donnent à fond, la tension est presque palpable. Nino dirige les débats avec grâce et vigueur. Lui qui était si élégant (et en un sens il est tout autant mod que ne peut l'être Dutronc!) emporte tout sur son passage. Je veux être un noir est un aveux de sa part: il aurait aimé pouvoir chanter comme Ray Charles ou James Brown, cependant s'il n'a pas le coffre de ses idoles Nino n'en a pas moins une voix incroyable, on le sent sur le fil, profondément honnête, terriblement intense! Non Nino tu n'étais pas un noir mais tu avais saisi l'âme de la soul et tu es un de ceux qui l'a le mieux adaptée à sa culture de part le monde. Nino Ferrer se place très facilement parmi les meilleurs chanteurs blancs de son époque dans la catégorie des Eric Burdon, Reg King ou Steve Marriott. Des mecs capables de retranscrire l'intensité de la soul sans la copier de trop près.

Cet album est presque un sans-faute et s'écoute très bien d'une traite (deux pour les puristes: on doit retourner le disque entre les deux faces), c'est assez rare dans le paysage français 60s où les LP étaient souvent des compilations d'EP agrémentés de fillers histoire de combler les interstices. Il y a de nombreux moments de pure grâce. Il faut écouter par exemple "Pour oublier qu'on s'est aimé", à mon avis la meilleure version de cette chanson (il en existe trois: une antérieure avant son succès populaire, et une au début des 70s). Ce morceau est sincère, il est intense, le texte est très direct, pas d'ironie, pas de non-sens ici, juste Nino qui balance des mots de ses tripes. Il y a quelques reprises notamment le fameux Les Cornichons (l'original est instrumental de James Booker: Big Nick) ou une superbe version de It's Man's Man's Man's World de James Brown ( si tu m'aimes encore ), on est loin des insipides yéyés: Nino prend la chanson à bras le corps et se l'approprie. On trouve de nombreux classiques du répertoire du franco-italien sur cet LP: Mirza, Les Cornichons, La Bande à Ferrer, Oh Hé Hein Bon, Mme Robert etc.

Enregistrement Public est un vrai concentré du Nino Ferrer 60s et une merveilleuse introduction à ceux qui souhaiteraient se lancer dans la discographie d'un des chanteurs les plus mésestimés de France de ces 50 dernières années. Il démontre la possibilité de s'approcher de l'esprit de la musique Soul en français dans la langue. L'intensité que met Nino dans sa musique devrait inspirer plus d'un revivaliste soul qui s'attache parfois d'avantage à soigner les détails et l'apparence plutôt que se mettre en danger en chantant comme si plus rien d'autre ne comptait, comme si c'était la seule chose qui avait une vraie importance, et c'était le cas pour Nino Ferrer.

L'album a été réédité en vinyle et il est disponible pour une modeste somme en cd.


Nino Ferrer -  Pour oublier qu'on s'est aimé

1 commentaire:

beat4less a dit…

J'ai réécouté ce disque le week-end dernier justement, tuerie !
Ya pas beaucoup de disques avec chant en français que je supporte en fait, mais là c'est la grande classe