Il se murmure un peu partout que 2016 fut particulièrement meurtrière pour les musiciens et artistes à moins que ce soit un effet de loupe des réseaux sociaux, toujours prompt à affirmer leur deuil, une fois l'affreuse nouvelle tombée. Peut-on être sincèrement désolé du décès d'une personne que l'on connait qu'à travers son œuvre ? J'aurais malgré tout tendance à penser que oui... La musique, le cinéma, la peinture accompagnent notre vie, ses bons moments, parfois aussi ses mauvais. Ces artistes se glissent ainsi dans les interstices de nos existences précaires. Pourtant, j'éprouve souvent un sentiment de trop-plein et de surenchère du deuil, mais je suis aussi le premier à m'y jeter quand quelqu'un que j'admire sincèrement décède, quand bien même ma connaissance de son œuvre est parfois assez superficielle.
La mort est partie intégrante de l'existence, les artistes des années cinquante et soixante commencent à approcher de l'âge où le décès est dans l'ordre des choses, ainsi 2016 ne sera peut-être qu'un commencement pour ce qui est de la musique pop et du rock dont de nombreuses figures font parti de notre patrimoine depuis de nombreuses décennies... Imaginez vous: Revolver a cinquante ans, le Punk en a quarante. Il faut se faire à l'idée que les gens qui ont joué sur certains de nos disques préférés ont maintenant 70 ans, voir plus... Mercredi 28 décembre décédait Pierre Barouh à l'âge de 82 ans, une durée plus que respectable, pas de sentiments d'injustice ici comme nous pourrions en ressentir pour les biens plus jeunes Prince ou George Michael. Il y a cependant toujours ce petit pincement au cœur: il ne pourra plus témoigner sur les choses incroyables qu'il a contribué à faire: un pan de la mémoire de la musique française populaire qui s'évapore dans les limbes. Je connais l’œuvre de Pierre Barouh assez peu finalement, mais je croise si souvent son nom dans mes recherches musicales qu'il m'apparaissait important d'en parler un peu ici.
Il y a cette BO d'Un Homme et une Femme qui traîne chez moi depuis de nombreuses années. Achetée dans un Boulinier, j'ai eu envie de la réécouter en juillet dernier en préparer une de mes émissions pour Radio Campus (celle du 19 juillet 2016). Le disque tourne, Samba Saravah démarre, il se passe ces petits miracles quand une chanson colle parfaitement à votre état d'esprit du moment, une connexion intime et profonde. Reprise de Vinicius de Moraes et Baden Powell, Pierre Barouh s'éloigne du texte originale pour mieux rendre hommage à cette bossa nova qu'il adore et qu'il contribue à faire connaître en France. Les paroles sincères et profondes expriment ainsi parfaitement l'amour de Barouh pour la musique brésilienne. Cette affection, il la prolongea aussi dans l'aventure Saravah, un des labels indépendants français les plus importants des 70s au coté de BYG par exemple. Le catalogue de Saravah est une des autres raisons qui me pousse aujourd'hui à vous évoquer Pierre Barouh: le Trio Camara (qui accompagne les Masques) y croise Nicolle Croisille (des Masques justement), Brigitte Fontaine, Areski ou encore le groupe progressif Catharsis... Un label à l'image de son créateur: passeur de musique, ouvert, libre, sans œillères et profondément amoureux de la musique.
Si je n'avais pas retenu Samba Saravah en juillet pour des questions de logique, la chanson était restée dans un coin de ma tête, toujours présente. Elle m'est très récemment revenue en préparant le projet de sélection pour La Souterraine, celui que j'évoquais en votre compagnie dimanche à propos de Françoise Hardy. Un hasard certes, mais troublant, j'espère en tout cas que d'autre gens continueront de découvrir la chanson et à leur tour auront envie de devenir des passeurs de musique comme l'était Pierre Barouh.