mercredi 6 novembre 2013

Europunk

Dimanche, pas grand chose à faire à part chopper des vinyles aux puces ou trainer dans une expo... Tiens pourquoi pas aller à Europunk présentée à la cité de la musique de la Villette et initialement à la Villa Medicis à Rome. En changeant de pays, l'exposition auparavant présentée dans le cadre des arts visuels s'est enrichie pour coller avec l'orientation du lieu.

Le punk a la côte dans le milieu de l'art ces temps-ci. Linder Sterling a eu sa rétro il y a peu au musée d'art moderne et Raymond Pettibon est actuellement exposé dans une galerie parisienne. Si on ajoute à cela l'intérêt croissant du marché pour l'art brut (quitte à en détourner le sens comme dans la récente exposition à l'Hôtel de Ville) il y a de quoi voir des velléités du milieu d'échapper à l'art contemporain (ou du moins sa partie visible et médiatique). Cela se comprend aisément par certains aspects: on trouve dans le punk ou l' art brut bien plus de violence et de spontanéité que dans l’œuvre provoc' facile d'un Damien Hirst dont on espère que l'histoire ne fera pas grand cas (c'est malheureusement mal parti entre nous). Il y a une certaine ironie à voir une culture anti-etablishment se faire récupérer par celui-ci. Il est également amusant de constater que l'état file des subventions à des expos qui affichent des symboles tabous quand il interdit dans le même temps les concerts d'un groupe jouant sur ces mêmes codes avec un flou troublant analogue. Mais revenons en à nos moutons et cette exposition parisienne...


A l'origine de cette rétrospective la volonté d'un commissaire (Eric De Chassay) d'appréhender le punk comme un mouvement artistique en soit (qualifié par l'intéressé de "dernière avant garde du XXème siècle"). Il a donc été décidé de ne pas différencier les œuvres uniques des objets industriels, ni distinguer les démarches artistiques réfléchies des créations plus spontanées et anarchiques. Ainsi à quelques mètres de distance se côtoient les fanzines "à la main" et particulièrement artisanaux de Sniffin' Glue et les magazines bien plus professionnels (mais néanmoins originaux et décalés) de Bazooka. On trouve aussi dans les vitrines nombres d'affiches promotionnelles et bien sûr de disques vinyles. Les amateurs apprécieront la malice de gens qui se penchent sur des pochettes de groupes dont ils n'ont jamais écouté la musique (en espérant secrètement qu'un certain nombre d'entre eux auront envie de le faire ensuite!). Les vinyles comme les animaux ne sont jamais mieux que dans leur milieux naturel: un bac de disques à coté d'une platine, cependant on ne peut nier la force graphique de certaines pochettes notamment celles de Peter Saville pour Joy Division ou Linder Sterling pour les Buzzcocks.
L'approche a le mérite d'englober diverses approches d'un mouvement dont la cohérence tiens plus dans le nihilisme (ou une forme d'humour/critique/ironie/démarche Dada) que dans une tentative de création d'une esthétique précise. Europunk arrive assez bien à retranscrire le bouillonnement prolixe de l'époque.

la fameuse illustration de Peter Saville pour Unknown Pleasures
de Joy Division. Un enregistrement de Pulsar.

L'exposition est conçue en un enchevêtrement de salles aux thématiques plus ou moins précises. Ces dernières sont soudées par une grande frise chronologique reprenant les grandes dates du punk en Europe mises en perspectives avec des faits historiques et politiques contemporains. Cette dorsale permet d'un peu mieux comprendre le mouvement, et même si on regrette certaines choses (une faute d'orthographe à Rhythm and Blues par exemple, l'absence de mention des Nuggets pourtant fondatrice) elle permettra aux novices d'en savoir un peu plus sur l'émergence du punk. Cet ajout est un des points forts de l'exposition qui manque par ailleurs souvent d'un peu plus d'explications pédagogiques. On aurait aimé ainsi avoir quelques éclairages sur des personnalités fortes du punk européens comme Vivienne Westwood, Peter Saville ou Linder Sterling, dont les contributions artistiques au "mouvement" sont essentielles.

Certaines salles sont bien conçues, on pense à Bazooka ou les Sex Pistols / Jamie Reid. D'autres me semblent un peu plus légères (notamment celle consacrée au Post-punk qui s'arrête sur la très arbitraire date de 1980). J'ai eu du mal à distinguer l'approche heuristique de l'ensemble, il m'a semblé que cela était un peu fouillis. Certes le mouvement de part sa nature joyeusement bordélique est difficile à organiser, mais un peu de tri aurait largement bénéficier à la compréhension didactique du mouvement punk pour les non-experts. En terme de quantitatif on reste aussi un peu sur sa faim même si l'ajout d'un jukebox et de la projection du film (passionnant) Rude Boys sont de belles réussites.

 La pochette d'Orgasm Addic premier single des Buzzcocks pour la major UA, 
un collage de Linder Sterling.

Peut-être que la thématique en elle même (Europunk) pose des problèmes: doit on séparer le punk européen du punk nord-américain ? Passer sous silence la scène du CBGB permet-il de comprendre l'émergence en Europe de cette musique? Est-ce que l'exposition traite avec assez de profondeur le punk continental ? En effet le punk anglais se taille la part du lion dans l'exposition, à juste titre peut-être (après tout le punk n'aurait jamais eu une telle force si la jeunesse anglaise ne s'en était pas emparée) mais nous privant d'explications bienvenues sur un pan de ce mouvement nettement moins connu. On peut aussi se demander s'il était nécessaire de faire une exposition sur le punk. Après tout comme le suggère dans le bancal Rétromania Simon Reynolds, muséifier une musique en fait une langue morte. Le lieu contourne la remarque d'une manière intelligente en programmant en parallèle des affiches punk associant groupes historiques (Buzzcocks) et renouveau actuel (Holograms). 

Europunk est une exposition intéressante mais bancale. On apprécie l’interactivité (les stands pour faire ses badges etc.), l'absence de hiérarchisation des sources, l'éclairage bienvenu sur Bazooka ou Jamie Reid. On regrettera le traitement parfois un peu léger d'autres noms importants et le petit manque de pédagogie de l'ensemble malgré une très bonne frise chronologique et la présence d'un jukebox qui permet de ressentir ce mouvement autrement que par son aspect visuel. Une bonne balade pour un dimanche en somme mais à compléter par la lecture d'England's Dreaming et pourquoi pas de Please Kill Me !

9 euros jusqu'au 19 janvier.

Aucun commentaire: