mardi 29 mars 2016

Le vinyle un objet de luxe ? Un autre angle.

Dimanche 27 Mars, les Inrocks publiaient un article dont le titre m'a particulièrement interpelé: Comment éviter que le vinyles devienne un objet de luxe?. La thématique m'est chère, j'ai en effet très peur que le vinyle change de statut, je regrette aussi l'augmentation des prix mais nous allons voir pas forcément les mêmes prix... Voici le lien pour le consulter. N'étant pas sur la même longueur d'onde que l'analyse proposée je me permets de livrer quelques remarques, un autre angle, qui je l'espère sauront vous intéresser et éventuellement élargir le débat sur une question loin d'être anecdotique, voir inquiétante. 

Résumons tout d'abord rapidement l'article: Discogs aurait un effet pervers sur la valeur des disques (entraînant une spéculation) dont l'impact se mesurerait jusqu'aux disquaires, il priverait des vrais passionnés de disques à cause de leur prix prohibitifs du à des vendeurs pour lesquels  il s’agit d’une activité professionnelle à part entière. Ceux-ci achètent des stocks en gros à des anciens DJs, clubs ou radios pour les revendre ensuite à des prix prohibitifs. La solution selon l'auteure serait donc de rééditer ces raretés pour permettre à un autre public d’accéder à cette musique. Si on ne le fait pas le vinyle est en train de devenir un support réservé aux plus fortunés. Si certaines choses ne me semblent pas fausses, elles ne me semblent pas non plus faire nécessairement le bon constat mais voyons donc ces citations !

Discogs [...] est en position de monopole. Certains revendent aussi des vinyles sur Ebay ou Amazon, mais la plateforme offre l’avantage d’être à la fois la place du marché et le “wiki” du disque : c’est une base de données incroyable.
Il est évident que Discogs a été une véritable révolution en créant l'une des plus géniales bases de données sur le disque (et une source géniale pour digger mais j'y reviendrai un autre jour !). Si cela est particulièrement intelligent de leur part d'y avoir associé la vente, c'est au départ une demande qui émanait des utilisateurs. Je ne crois pas que Discogs soit en position de monopole sur la vente de disques en ligne, la plupart des acheteurs multiplient les sources: priceminister, eBay, Le Bon Coin, les groupes de ventes sur facebook etc. Internet permet de mettre très facilement en concurrence les vendeurs !

S’il est impossible de connaître les chiffres, on peut supposer que la majorité se compose de collectionneurs qui écoulent leur propre stock pour financer de nouveaux achats. Mais pour d’autres, il s’agit d’une activité professionnelle à part entière. Ceux-ci achètent des stocks en gros à des anciens DJs, clubs ou radios pour les revendre ensuite à des prix prohibitifs.
Si les prix sont prohibitifs et non réalistes par rapport au marché, ils ne vendront pas leur disques.  Pour que les prix augmentent il faut qu'il y ait un vendeur mais aussi... un acheteur. Après il est envisageable d'argumenter que les deux acteurs (vendeur/acheteur) sont des spéculateurs, mais là il y aurait clairement un risque de bulle économique sur les disques en question.

Une spéculation qui fait également monter les prix en magasin, les disquaires s’alignant sur les prix affichés sur le site. Le vendeur d’un grand records shop berlinois, qui a préféré rester anonyme, nous dénonce ces pratiques avant de soupirer : “Mais dans le même temps, cette hausse est impossible à juguler. Car qu’est-ce qui garantit à un vendeur militant, tentant de proposer un tarif sympa de magasin, que le client ne sautera pas sur l’occasion pour le revendre plus cher sur la plateforme ?“. Discogs a instauré une cote dans le domaine du marché du vinyle d’occasion.
Discogs ne génère pas la spéculation: le site offre une photographie de ce que les gens sont prêts à dépenser pour un disque. Ce prix est fixé selon les lois de l'offre et la demande, il dépend par conséquent de la rareté et de la désirabilité d'un disque. La spéculation est faite par les vendeurs, cependant si ceux-ci ne vendent pas à un prix réaliste ils garderont leur disque sur les bras, ils ont donc intérêt à aligner les prix sur la valeur réelle (sauf s'ils sont sûr que cela vaut plus). Cela peut même avoir un effet positif: si plus de gens consultaient le site, peut-être qu'un certain nombre d'entre eux ne penseraient pas à mettre leur best-of bon marché des Stones à 20€ en brocante ! Accuser Discogs de générer de la spéculation est comme blâmer le porteur de mauvaises nouvelles: Discogs rend peut-être compte d'une spéculation mais n'en est pas à son origine (même si possiblement elle la facilite, bien que cela se discute aussi). Bien entendu, la fantastique accessibilité de cette base de données rompt une partie du charme de l'achat à l'aveugle en permettant une évaluation très rapide du prix. La bonne nouvelle étant que compte tenu de l'immensité de choix de disques, il est impossible pour un spéculateur de savoir tout repérer. 
La cote dans le marché du vinyle de l'occasion n'est pas non plus une nouveauté, de nombreux ouvrages existent sur le domaine depuis des décennies, par exemple Goldmine ou Jukebox proposent des cotes de disques qui faisaient souvent référence avant l'apparition d'eBay ou Discogs.  De fait dès qu'il y a eu un marché de la collection de disques, il y a eu des gens pour tenter de fixer la valeur intrinsèque des raretés.
Enfin un disquaire n'a aucun intérêt à aligner ses prix systématiquement sur discogs, s'il le fait il se privera de la clientèle fréquente qui généralement constitue une part essentielle de son chiffre d'affaire. C'est à mon sens impossible dans une ville comme Paris par exemple.

Problème : ces échanges financiers ne profitent pas aux artistes. [...] Quand les musiciens sont encore en vie, ils constatent que des particuliers vendent leurs vinyles à prix forts sur la plateforme sans qu’ils ne touchent un centime sur ces transactions.
Est-ce véritablement un problème? Dans le marché de l'art (peinture, photographie) ce sont les mêmes règles et la situation est encore plus désavantageuse pour l'artiste car il s'agit souvent d'objet unique et non de reproductibles. Dans les deux cas les artistes touchent des droits d'auteur en cas de reproduction.
Dans le cadre du vinyle: un prix élevé pour un disque est signe qu'il est recherché et désiré, une motivation pour un label à rééditer le disque et donc finalement permettre à ses auteurs de toucher à nouveau quelque chose. Allons plus loin: les collectionneurs qui font augmenter les prix des disques sont aussi ceux qui souvent participent à faire (re)découvrir des artistes et contribuer à leur donner une légitimité que l'époque ne leur avait pas donné.

Contrecoup retors de la tendance, tout ce qui est sorti depuis 30 ou 40 ans subit une demande plus forte que ce qui est disponible en seconde main. Du coup, les prix explosent.
Je n'ai pas le sentiment que le prix des disques des années 70-80 ait explosé ces dernières années en général. Mais par contre oui, il y a eu des genres (la Minimal Wave, le Boogie français ou l'Italo Disco par exemple) dans lesquels les prix ont augmenté. Dans tous les cas, Discogs n'est pas le principal responsable: ces augmentations sont avant tout du à la redécouverte et à l'intérêt pour une période et un son donné. Un subtile mélange entre collectionneurs ayant une influence, groupes se revendiquant de ces formations et labels rééditant des disques ou des compilations thématiques... 
Au doigt mouillé j'aurais tendance à dire qu'après la redécouverte d'un genre et certains effets de mode (pour les disques récents qui peuvent connaître d'incroyables variations) les prix ont souvent tendance à se stabiliser (en dehors d'un éventuel effet inflation).   

La première sortie pressée à très peu d’exemplaires [...] a atteint cette année le prix de 345€. Au regret des vrais passionnés.
Je suis un peu embêté par cette formulation. En quoi quelqu'un qui paierai un disque 345€ ne serait pas un vrai passionné ? Que sait-on de lui au juste ? Va-t-il le garder dans un coffre fort pour tenter de le revendre dans quelques années le double ? peut-être bien ! Mais cela pourrait être aussi un fan inconditionnel du producteur qui cherche à se rapprocher le plus possible de son idole en ayant l'ensemble de ses disques... Bref en quoi peut-on juger des motivations de quelqu'un ? Le marché des disques rares a certes, ses acheteurs spéculateurs ou des gens très riches qui mettent n'importe quel prix dans un disque, mais je ne crois pas que ce soit le profil le plus courant: la plupart gagne correctement leur vie mais sacrifie une partie de leur loisir pour se consacrer à cette dévorante passion qu'est le disque. En quoi ces gens là seraient donc moins passionnés que des personnes qui ne sont pas capables de mettre autant soit par manque de moyen ou par choix ? À l'heure d'internet où la musique est facilement disponible, cet argument est d'autant moins valable puisque posséder l'objet n'est plus une nécessité pour l'écouter.
À noter que l'exemple donné est recherché depuis pas mal d'années: il est déjà parti à 999$ sur eBay en 2006.

Mais presser à nouveau permet à un autre public d’accéder à cette musique.
Oui ! Bien sûr, la réédition de raretés chères est une excellente chose très positive pour la diffusion et la démocratisation de la musique. Après si nous observons le marché de la réédition dans son ensemble et pas que du point de vue des labels indépendants spés, nous pouvons aussi constater aussi une absence de logique dans certains choix de disques à rééditer. Une annonce de sortie du RSD m'a particulièrement fait sourire (ou agacé selon l'heure du jour ou de la nuit): Kung Fu Fighting de Carl Douglas. Je ne sais pas à combien sera le 7 pouces le D(isquaire) Day mais quand on sait qu'il est possible de ramasser ce disque en broc' pour 50 centimes sans même le chercher, il y a de quoi se poser des questions.Ce vinyle n'est malheureusement pas un épiphénomène, les bacs sont remplis de ces classiques trouvables dans un disquaire d'occasion pour 10€ et moins. Le commerce a ses raisons que la rationalité ignore: un non-sens écologique et d'avantage de disques sur les presses  en lieu et place de vinyles qui eux auraient une certaine signification tels que des disques rares/inédits à rééditer ou des nouveautés.

Car le vinyle est en train de devenir un support réservé aux plus fortunés. 
Ce constat est une évidence pour moi, cependant je pense que l'auteure se trompe de combat. Le marché de l'occasion est régit selon des règles qui évoluent assez peu: offre et demande, rareté, désirabilité... Seul les goûts des collectionneurs évoluent, les prix se fixent en fonction. Ce marché n'est pas entrain d'induire un support réservé aux plus fortunés pas plus qu'avant ou après en tout cas. Tout au plus, certains disques qui n'étaient pas recherchés et donc accessible aux communs des mortels deviennent des raretés prisées. Cependant les pièces désirables resteront chères et la majorité des disques se trouvera toujours pour quelques euros dans des bacs aux puces ou chez un disquaire.  L'essence du problème vient de l'augmentation dramatique des disques neufs depuis quelques années, les causes sont multiples mais les disquaires n'en sont pas responsables, ils ne peuvent constater que les dégâts d'actions prises en amont. Cette augmentation est multifactorielle: augmentation des coûts de pressage du fait du succès du vinyle (pour tout le monde), nombre de copies à la baisse (pas par choix en général mais faute de demande pour les nouveautés), rééditions avec des options luxueuses à destination d'un public mature (gatefold, 180gr etc.), prix wholesale en augmentation pour amortir les frais marketing, explosion des frais de port aux USA etc. Ce cocktail aboutit à une situation dramatique, les prix que je constate ont évolué de 4 à 5€ supplémentaires pour un LP en quelques années. Ainsi aujourd'hui le prix moyen se situe plus à 20-23 euros quand il était à 15-18 euros il y a peu encore. Même combat pour les 45 Tours qui frôlent les 9-10€ aujourd'hui. Les labels français indépendants, heureusement, conservent des prix souvent honnêtes (5-6€ le 45 Tours, 12 à 17€ le 33 tours). De fait, les disques neufs sont de plus en plus souvent en concurrence avec la seconde main, en effet je me pose de plus en plus la question d'acheter des nouveautés quand ceux d'occasion n'ont pas augmenté: pourquoi acheter une nouveauté à 23€ qui ne me plaira peut-être plus dans deux ans quand je pourrais avoir un original d'un disque que j'adore et assez rare à 25€ dont le prix ne devrait pas décroître ?

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Excellent post ! Super content que le blog renaisse.

Anonyme a dit…

Intéressant, mais pourquoi vouloir tout féminiser à outrance et massacrer la langue française.

Mettre un e à auteur, c'est juste affreux !!!!

Anonyme a dit…

Bonjour,
Votre article est une excellente réponse à cet article des Inrocks que je trouve bien "léger" !
Je n'ai rien d'autre à ajouter à votre argumentation, sauf pour la fin de votre article :
On a tendance à oublier qu'il y a 30 ans le CD était à environ 140 F, donc dans les 21 €... marrant, ça, c'est à peine moins que le prix moyen d'une réédition vinyle en 2016... est-ce si cher par rapport à l'équivalent CD, quand on a un objet qui a quand même plus de gueule ?
Je ne pense donc pas que le problème soit le prix, mais plutôt la qualité sonore de ces rééditions vinyles, hautement variable selon les labels... et, par ailleurs, indépendante du fait que ce soit masterisé d'après les bandes d'origine ou d'après un fichier numérique... mais là ça mériterait un autre (gros) article ! . Pour ce genre de choix Discogs aide bien, avec ses avis d'acheteurs, et peut permettre de faire le bon choix entre une réédition ou un original à prix décent.