lundi 9 mai 2016

Blues Convention

Aujourd'hui était annoncé officiellement la fin de Magic après plus de 20 ans en kiosque et 201 numéros (le dernier avec Woods en couverture). J'ai eu la chance de pouvoir y contribuer pendant plus de deux ans, c'est d'ailleurs un peu grâce à ce blog que tout a démarré. Avant d'être dans l'aventure j'ai été un lecteur fidèle (abonné) pendant plusieurs années, j'appréciais particulièrement dans Magic la qualité des plumes: ce qu'il faut de style et d'élégance, sans non plus tomber dans la démonstration et l'hyperbole gratuite distribuée comme autant de goodies publicitaires sur le tour de France. J'aimais également beaucoup les choix éditoriaux forts: une défense de la musique pop qualitative sans pour autant se mettre d’œillères, cette capacité à défendre Mustang, Thee Oh Sees ou les productions de Bureau B avec le même engouement et la même précision. Enfin l'esthétique général était soignée, elle véhiculait à merveille la modernité que défendait le magazine. Magic était pour moi un repère, une référence qualitative et exemplaire. J'ai ainsi été très honoré de pouvoir rejoindre les pigistes. Ce fut aussi un défi personnel: habitué à écrire en flux tendu sur le blog (et souvent sans aucune relecture), être à la hauteur des autres rédacteurs fut un sacerdoce, j'appris ainsi à me relire à voix haute, à mieux ponctuer mes phrases (mon gros défaut !) etc. Je ne sais pas si je suis parvenu à l'excellence des autres rédacteurs, néanmoins je me fais d'avantage confiance et m'exprime à l'écrit avec bien plus d'aisance.

Avant d'être passé de ce coté-ci de la barrière, j'ai, avant tout, toujours été un fidèle lecteur de la presse musicale papier: Trax pendant mes années électroniques, Magic, Rock & Folk et parfois New Noise depuis (et je relis de nouveau Trax d'ailleurs). J'aime la presse musicale papier. Je fais parti de cette génération dont la culture musicale s'est en partie faite par le prisme des magazines de presse. J'ai ainsi fantasmé des disques avant de tenter de les acheter dans une Fnac. Tenter car les vendeurs n'y étaient déjà pas toujours compétents il y a une quinzaine d'années ! Au delà de l'actualité, un titre représente une communauté, des références communes partagées par le lectorat et les journalistes, ce sentiment unique de participer à une même histoire. C'était d'autant plus important qu'avant l'apparition des forums et des réseaux sociaux, il n'était pas toujours possible de partager, les magazines étaient donc ceux qui nous comprenaient, nous savions alors qu'il y avait ailleurs d'autres fêlés comme nous. Internet a évidemment bouleversé la donne ! J'en suis un excellent exemple: mon frère, un ami et moi même lancions ce blog il y a près de 10 ans (2007). Ce fut un formidable eldorado démocratique, d'un coup tout le monde pouvait s'exprimer sur le sujet qui l'intéressait et chacun pouvait partager avec l'autre ses passions.  La presse musicale de son coté se mangea (et continue pour ceux encore là!) une double crise: le papier et les disques. Ainsi elle perdit du lectorat et des budgets publicité en même temps, si un tel cataclysme venait à toucher l'industrie automobile, l'état rappliquerait vite-fait avec une mesure pour faire repartir la demande des ménages... Depuis des années, la presse musicale survit, souvent par la volonté de passionnés comme vous et moi qui font tourner la machine avec des bouts de ficelle et des budgets très serrés.

Au fond, nous pourrions adopter un point de vue schumpétérien sur ces questions: la destruction créatrice œuvre, la presse musicale s'en va, remplacée par une nouvelle technologie (internet, le numérique), c'est dans l'ordre des choses, du moins dans une civilisation capitaliste obsédée par la croissance. Peut-être est ce un peu vrai, mais au fond y avons nous réellement gagné avec la gratuité ? Internet devait être une libération et la source de connaissances presque infinies se révèle être assez décevant en 2016. Beaucoup de blogs, sites internet sont en jachère voire disparus des radars. Quelques webzines continuent un travail qualitatif (Gonzaï, The Drone et d'autres) mais ils semblent bien peu face à l'armada de sites clickbait dont le contenu est calibré pour piéger les moteurs de google et nous avec. Le paysage, en dehors des exceptions susmentionnées, est morne, conformiste, il digère les mêmes figures à l'infini, ne créé pas de contenus, de sens, de liant. La machine avale ce qu'elle a précédemment régurgité, créant un présent permanent qui efface toute notion d'histoire. Cette culture démocratique ouverte sur l'autre (partager sa passion) s'est aussi transformé en une oppressante course à la popularité: là où nous recherchions l'empathie il n'y a aujourd'hui que volonté de plaire à tous. L'internet de 2016 est ainsi à bien des égards à l'opposé de l'esprit qui l'animait à ces débuts. Il a fallu monétiser et donc trouver des modèles économiques. L'affaire n'est d'ailleurs pas tout à fait réglée: la gratuité s'est imposée partout et il est difficile de revenir sur cet acquis pour ceux qui veulent proposer autre chose. Cette gratuité a certainement contribué à privilégier la quantité sur la qualité: du clic facile, de l'audience volage et volatile sur des sujets légers et consensuels. Ne nions pas l'importance du rien mais quand il écrase le reste le déplaçant aux marges de l'internet, est-ce vraiment ce que nous désirions ? Bien sûr, il ne s'agit pas de faire le procès de ce merveilleux outil que peut-être la toile, elle me sert absolument tous les jours, pour découvrir de la musique ou compléter mes connaissances, mais l'usage que nous en faisons et ce qu'il a comme conséquence sur le réel interroge non ?

Je me fais certainement vieux , je passe progressivement du coté de ceux que le progrès inquiète, là où je devrais voir des potentialités infinies, je ne vois qu'un monde qui ne sait plus prendre le temps d'apprécier, qui ne s'interroge plus, consomme les choses (vivantes ou non) comme autant de pastilles de deux minutes saucissonnées ainsi pour continuer de capter le peu d'attention qu'il reste dans nos cerveaux suractivés par le vacuité. Il y a évidemment toujours de l'espoir, autour de moi des gens veulent monter des bons vieux fanzines, j'espère qu'ils le feront et je serai le premier à écrire pour eux s'ils le souhaitent ! J'espère vraiment de tout cœur me tromper sur le futur.

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